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  • : Le blog de PAPYCOUSTEAU
  • : Photos, Voyages, Plongée-sous-marine, récits, histoires, citations, pensées, maximes, proverbes du monde entier. Le tout illustré par des photos de France et d'ailleurs...
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11 avril 2014 5 11 /04 /avril /2014 23:41


 FAIRE

UNE  DERNIÈRE  PLONGÉE



Car j’avais rendez-vous,
                                                                                                                              avec lui ce soir,
                                                                                                                              à Samarra.


William Somerset MAUGHAM.(*)




                  C’est le début du mois de Juillet. Sur la Côte d’Azur le temps des vacances est revenu à la grande satisfaction de tous et plus particulièrement des plongeurs.
                 En ce tranquille matin estival, l’immensité du Golfe de Saint-Tropez resplendit sous la douceur d’un soleil sans voile. La mer argentée fait miroiter tout le bleu du ciel au rythme ondoyant des vaguelettes. L’air est vif et revigorant.
                             Il fait bon vivre!...
                           Vous, qui aimez naviguer, vous avez tous, j’en suis certain, remarqué ce fait singulier : En mer, chaque saison dispose de quelques rares et troublantes matinées qui exaltent nos perceptions. Un je ne sais quoi d’une densité quasi surnaturelle imprègne imperceptiblement nos sens, envahit notre esprit, métamorphose nos émotions. Une énergie vivifiante et tranquille occulte le présent banal. Le monde nous appartient.
                            On ne peut le nier, c’est assez impressionnant !
                           C’est dans un tel état d’esprit que je contemple l’immensité qui s’étale

devant moi à l’instant où commence ce récit. Je suis installé à l’avant de "L’Idéal", assis sur le guindeau. Nous traversons le Golfe à bonne allure pour rejoindre un site de plongée. Je me laisse bercer par les amples mouvements du bateau. Ma pensée vagabonde dans une méditation sans fin sur la joie de vivre. Je suis en pleine forme et je me sens bien !
                        Partis du vieux port de Saint-Tropez, nous achevons la traversée du Golfe et après avoir doublé la cité de Sainte-Maxime, nous cinglons en direction du récif des “Sardinaux”.
                      Quelques instants plus tard, notre vieux chalutier s’avance à petite allure sur la zone de la balise dénommée à juste titre le feu de “La Sèche à l’Huile”.
                             Point mort, parfait Capitaine !
                       Doucement le navire glisse sur son erre. Il s’immobilise de lui-même au-dessus d’un petit fond rocheux, situé à une encablure à l’ouest du signal. Pas le moindre souffle de vent ne vient iriser la Grande Bleue. Calme plat. Le silence de la mer évoque quiétude et douceur de vivre.
                         Soudain un vacarme agressif fracasse avec cruauté ce matin de cristal.
                         Je sors de ma torpeur et reviens...  sur terre.
                     Larguée pour le mouillage, notre chaîne d’ancre se déroule avec violence dans l’écubier. Hurlante et frénétique, elle lacère les flots en un sifflement de mitraille. Happée avec colère, elle file, tirée vers le fonds par son ancre et s’enfonce dans les abîmes déchirés.
                        Rêve paisible et réalité cruelle en un seul et bref instant conjugués. Sur le pont personne ne s'est avisé de ce détail, les signes précurseurs du destins ne sont pas toujours compréhensibles.
                Tout un petit monde se presse à l’arrière du bateau autour de Claude Gavory, notre  big boss, dont la voix de stentor regroupe équipage et passagers.
Chaque plongée se doit d’être préparée avec minutie par la description générale du site et le rappel des consignes de sécurité strictes et précises.
                   Ce briefing, de règle à bord de L’Idéal, est un moment particulièrement apprécié de nos plongeurs. D’autant plus que "Mac Gavor", dont la pédagogie et la précision de son laïus souligné par un humour percutant, par son dynamisme et la malice qui étincellent dans le bleu clair de ses yeux, sait retenir l’attention de tous. Y compris celle des vieux briscards, qui, s’ils connaissent les discours du Maître, attendent toujours avec vigilance et curiosité, le trait inattendu ou le “bon mot” qui émaille son speech. Toujours renouvelé, ce petit rien, véritable anti-stress, déclenche rire et bonne humeur avant l’énoncé des palanquées et leur ordre de départ. La décontraction est l’assurance d’une bonne plongée.
            Le trio de "vieux plongeurs" qui m'est confié est impatient d’explorer ce “Tombant de la Grotte” réservé aux initiés des plongées profondes. Toutefois, en élèves studieux, ils écoutent les renseignements complémentaires que je leur prodigue et le timing relatifs au long parcours que je me propose de réaliser en leur compagnie. Pour la notoriété de notre Club, surtout avec de tels compagnons, pas question de faire une quelconque plongée bidon.
              Par bonheur, ce matin, la clarté des eaux est exceptionnelle. Le site à découvrir est sous un éclairage parfait : à cette heure, déjà haut placé dans le ciel, le soleil illumine merveilleusement les paysages sous-marins que nous allons parcourir.
                       C’est le moment adéquat pour plonger.
                     Go! Go!... Les gerbes d’écume se succèdent tout autour du bateau. Sans refaire surface, notre équipe se regroupe sous cinq à six mètres d’eau, puis sur le o.k. manuel de tradition, nous prenons, d'une palme vigoureuse, la direction du large. Nous suivons la “Petite Faille” dont la descente en pente douce nous mène près de l’extrémité du “sec” par moins trente. L’eau est d’une clarté incomparable.
                        - Tout va bien ?  Continuons !
                       Contrairement à la routine, c’est à dire suivre les méandres de la roche, je décide de ne pas faire la “Grande Anse” et de couper au plus court. Le temps gagné nous permettra ainsi de rester un peu plus longtemps sur le site prévu.  Obliquant légèrement à gauche je quitte la roche... et au jugé me dirige en direction de la grotte. Nous nageons maintenant en pleine eau, cela impressionne toujours un peu ... ! Au-dessous de nous, s’inclinant vers les profondeurs, la lande de sable se déroule, uniforme et morne. C’est alors que je remarque une petite gorgone blanche, arbrisseau malingre qui émerge du sol et rompt la monotonie du paysage. Insolite...! Cette "banalité" n’attire pas l’attention de mes compagnons,  nous passons outre.
                         Une contour sombre se profile devant nous. Le relief sous-marin prévu est en vue. Nous l’atteignons en un instant puis nous nous laissons couler le long de la paroi.
                       Le tombant est superbe. Les traits de soleil, jets de lumières obliques, se perdent dans une forêt de gorgones aux couleurs d’un rouge rubis. Les rameaux tortueux de ces gigantesques éventails pourpres et violets aux franges d’or se tendent vainement vers le ciel, projetant leurs ombres bleuissantes vers l’abîme.
                        Moins quarante-deux !
                       La caverne est là, avec son parvis de sable d’un blanc de neige qui nous incite à s’y poser. Nous atterrissons en douceur, créant sur le sol une légère turbulence dont la densité brumeuse voltige aux alentours. La lumière blafarde de ce paysage lunaire se diffuse largement au-delà du porche d’entrée et suffit amplement à éclairer l’intérieur de la grotte dans laquelle nous pénétrons.
                  Notre intrusion y surprend une nuée de petits poissons rouges aux yeux encadrés de deux lignes horizontales claires. Ce sont des Apogons. Affolés, ils fuient devant nous de manière désordonnée. En de brèves et rapides envolées pour ils se réfugient dans les anfractuosités sombres des surplombs rocheux.
                     Après  avoir franchi le seuil de cette antre, levant les yeux vers la voûte, nous en découvrons le magnifique plafond tapissé d’une colonie encroûtante de petites anémones jaunes. Entre les polypes trapus de ces zoanthaires viennent s’incruster de petits diamants argentés. Se sont des bulles d’air, qui, par à-coups, fusent en chapelets de nos détendeurs. Ces perles de vif-argent, sitôt libérées se fractionnent et vont s’écraser sur le plafond de la grotte. Elles y rebondissent, se glissent, s’étranglent, s'insinuent, se coulent et de bouquets touffus en fleurs épanouies dans lesquelles elles s’introduisent, elles vont jusqu’à disparaître dans la roche, absorbées par les infimes et innombrables fissures qui s'y faufilent.
                  Nous progressons, avec d’infinies précautions, jusque dans la  partie où la luminosité des lieux est la plus réduite. Dans le faisceau de nos lampes, nous découvrons un renfoncement de la caverne d’une beauté féerique qui stimule la curiosité de notre groupe. Les lieux, similaires au boudoir d’une altesse royale, sont somptueusement tapissée d’un velours de corail rouge. Des milliers de polypes blancs, minuscules fleurs animales en relief, s’agitent fébrilement sur le vermillon de leur branches porteuses. Ils cherchent à saisir, pour les dévorer, les infiniment petites proies qui se hasardent dans leur espace.
                 Dans la sérénité apparente de ces eaux paisibles, c’est néanmoins, comme toujours et partout la lutte incessante pour la vie. Cette volonté de vivre, caractérisée par une frénésie aussi gracieuse que violente revêt ici la forme d’une beauté inoffensive. Sournoisement s’y dissimule la dangereuse menace qui plane sur un petit monde microscopique dont le destin, entre autre, est de servir de nourriture à ces pièges vivants.                       
              J’ai sorti de ma poche la grande loupe mythique préconisée par Marcel Desgoulanges. Elle circule de main en main. Nos yeux émerveillés ne se lassent pas d’apprécier les merveilles de la nature amplifiée par cette microsco-poche. Ce simple amplificateur de vision nous révèle une foule de minuscules détails qui passeraient inaperçus à l’œil nu.
                  De passionnantes minutes s’écoulent et lorsque je récupère mon engin, tous les regards se tournent vers moi pour connaître la direction à prendre. Je profite de cette opportunité pour indiquer, en tapotant du doigt sur ma montre, que dix-huit minutes se sont écoulées depuis le début de notre immersion. Mon aladin (1) indique d’ailleurs que nous sommes sur le point d’entrer dans la période des premiers paliers à trois mètres.
             Il est grand temps de faire demi-tour car, en plongée, le Temps et la Profondeur sont une Menace. L’eau, milieu hostile par excellence, est un Danger permanent avec lequel la moindre incartade peut tourner au drame.
                La visite se termine sur la vision fugitive d’un grand congre curieux qui risque un œil hors de son repère, le temps d’identifier les troublions qui défilent devant lui ...
                  Les reflets profonds aux reliefs azurés du Grand Bleu nous indiquent la sortie. Nous quittons à regrets les trésors de la grotte et nous nous retrouvons en pleine eau.
               Nous nageons en direction de "L'Idéal" et reprenons lentement de la hauteur pour nous rapprocher de la surface. Après avoir acquis une quinzaine de mètres à la verticale nous atteignons le droit du tombant. Nous apparaît alors le plateau sablonneux de la bronde avec ses premières posidonies. Je m’oriente et choisi de rejoindre le  mouillage en traversant une partie cet l’herbier. Je pense que ce nouvel itinéraire nous sera favorable sous tous les rapports : effectué en eaux peu profondes ce retour nous offrira un paysage plus divertissant que celui de l’aller et nous permettra surtout, au cours de la promenade, de sortir des fastidieux temps de paliers... à la satisfaction évidente de ma palanquée et de moi-même en particulier...
                     J’emprunte une faille qui progresse en pente douce en direction de la balise. Le groupe me suit sans trop s’attarder. A mi-parcours, une fois atteinte la zone des six mètres, nous apprécions ce qui s’appelle le loisir de flâner : Un magnifique spirographe déploie sa corolle sous nos yeux... puis nous croisons plusieurs bancs de saupes argentées à rayures d’or, poissons des faibles profondeurs qui broutent paisiblement la prairie marine et s’écartent à notre approche. Quelques compagnies de sars indifférents nous regardent passer, l’œil rond et inexpressif. Derrière une roche, un trio de grands corbs, magnifiques carnivores en quête de petites proies dissimulées dans l’herbier, restent à l’affût, immobiles face au léger courant. Ce dernier nous pousse vers les hauts fonds, ainsi, nous rejoignons sans effort les éboulis sur lesquels notre bateau est ancré.
                      Un bref regard sur mon ordinateur confirme mes prévisions : au cadran s'inscrivent seulement trois petites minutes de dessaturation à effectuer.
                   Aucun de mes plongeurs n’ayant utilisé sa réserve d'air, je décide de prolonger notre exploration en faisant le tour de la balise. Parfaire notre décompression en évoluant parmi les labres verts, les castagnoles espiègles, les serrans tigrés, les perches de mer au regard cruel ou les girelles quémandeuses n’a rien d’une corvée... Nous passons d’agréables instants décontractés avant de remonter à bord de notre bateau.
                 Mes camarades se déséquipent tandis que je commente notre périple. Ce faisant je m’équipe d’une nouvelle bouteille d’air car au retour de plongée, les moniteurs effectuent souvent le baptême d’un où deux débutants sur de petites profondeurs. Dans un esprit de sécurité, afin de ne pas me retrouver à court d'air, je préfère me munir d’un bloc plein. Je me remet à l’eau et j’attends de réceptionner une ravissante jeune fille lorsque notre Capitaine,  Charly, se penche vers moi et m’informe que cette naïade est la nièce de P’tit Louis, lequel, naturellement, se réserve le privilège d’en faire son élève.
                        C'est tout à fait compréhensible ! Le voici d’ailleurs qui fait surface avec sa palanquée. Nous apercevant il vient nous rejoindre et s’interpose entre nous de manière significative. Souriant, il me lance un “pas-touche” péremptoire.
                    Désœuvré, je m’apprête à remonter à bord lorsqu’une idée géniale me passe par la tête : Pourquoi ne pas aller regarder de plus près cette gorgone passée inaperçue aux yeux de ma palanquée? Il faut vous dire que le rêve inavoué de tous plongeurs est de trouver une amphore. Or, fait bien connu de nous tous, les gorgones ne peuvent créer une colonie et proliférer à même le sable, elles doivent  obligatoirement  se fixer sur un substrat solide.
                Hé hé! Qui sait ce qui ce cache là-bas? L’occasion est tentante de rapporter une preuve supplémentaire de cette évidence. Et trop séduisante ! J’ai encore bien présent à l’esprit le parcours emprunté. Profitons-en ! J’ai du temps devant moi et plus d’air qu’il n’en faut pour un court périple. Néanmoins je dois faire attention à ne pas trop m’attarder au fond.  Hé oui ! Si je ne veux pas être dans l’obligation de me taper une interminable et indispensable séance de paliers je dois avoir en permanence à l’esprit qu’il s’agit là de deux plongées profondes et  consécutives.
                         Mais qu’importe !
                        - Ho! Charly ! Dis-moi un peu, puisqu'il n'y à pas d'autres baptêmes, j’ai envie d’aller voir quelque chose au bout du “sec”, ça marche ?
                    - D’accord Michel, mais “gaffe aux paliers”, tu est déjà bien “chargé” avec ta profonde à “40”.
                     Je réponds en silence par le signe “o.k. compris ” en gardant le bras levé au-dessus de la tête et tout en expirant à fond je me laisse engloutir par les flots.. C’est parti ... !
                Je fais le trajet allant jusqu’à la pointe du sec en restant près de la surface, sur la ligne de crêtes. Légèrement plus bas sur le tombant qui défile maintenant sous  moi, je remarque les flashes d’une palanquée de photographes. Le moniteur, m’apercevant, me fait de loin un geste amical... c’est mon vieux copain Claude Mouginot et son groupe de sportifs de Nancy qui débutent leur plongée.
                  Arrivé à la verticale du promontoire rocheux je choisis ma direction,       bascule et descends vivement au ras du sol.
                       Moins trente-six.
                      Avec mon poignard de plongée je trace sur le sable une profonde rainure tout au long du trajet, elle sera mon fil d’ariane pour un retour direct, sans tâtonnement. Une sage précaution me semble-t-il.
               J’accélère mon jeu de jambes. Je tiens à parvenir le plus rapidement possible sur mon objectif. La pente s’accentue, moins quarante, rien en vue. Mais où est donc passée cette gorgone? Je remonte de quelques mètres pour effectuer un rapide tour d’horizon. Rien! Ou plutôt si... je discerne au loin  la masse sombre du tombant.
                     Bon sang, je suis allé trop à droite. Je rebrousse chemin.
       Que dois-je faire? La prudence me conseille de renoncer car mon “profondimètre” affiche déjà un premier palier. Je commence, lentement, à reprendre un peu de hauteur tout en scrutant le fond.
            Soudain, je l'aperçois ! Je me surprend à sourire. Elle est là, je la vois ma solitaire ! Quelques vigoureux coup de palmes me propulsent vers elle et je me laisse carrément tomber dessus. Positionné à genoux, je glisse la main dans le sable. Mon cœur se met à battre la chamade. Une masse dure, légèrement bombée, est prisonnière du sol sous ma gorgone.
                   A ne pas en douter, c’en est une ! Pour sûr je l'ai trouvée ... ma "gargoulette" !!  Youpi !!!
            Allez, au travail ! Fébrilement, j’en dégage les abords avec mon solide poignard de plongée. Dans le sable je fais progresser la lame en suivant un profil longiligne. Pas de doute, c’est bien ça ! En grattant ainsi le sol je soulève un nuage de fine poussière qui se propage tout autour de moi. Une nappe de brouillard dense et laiteux se forme aux alentours. Je n’y vois plus rien, c’est une véritable purée de pois qui stagne sur une épaisseur d’environ un mètre au dessus du fond.
               Je me redresse puis d’un geste rapide je quitte une de mes palmes et à deux mains, d’un mouvement de rame, je provoque un courant artificiel. La vue sur mon chantier se dégage un instant. J’entrevois maintenant ce qui me semble être le corps oblong d’une longue amphore romaine destinée au transport des grains. Je reprends hâtivement ma fouille à l’aveuglette. Je sais combien les secondes s’écoulent avec rapidité et je me rends compte que je me charge fortement en azote...
               Encore une petite minute de travail... juste le temps de déstabiliser ce fond meuble sur lequel l’amphore adhère fortement depuis des siècles. J’en ai le pressentiment, elle va bouger... Aller, encore un petit effort, je suis sur le point de la décoller ! Sous ce qui me semble être l’épaule de l’amphore je glisse ma lame et j’imprime sur le manche un mouvement court et rapide de va et vient. Je persévère un instant avec mon levier improvisé ... et victoire, au gré des secousses, je vois l’eau qui fuse légèrement entre le sol et ma trouvaille.
               Je passe les mains au dessous de ce que je crois être le pilon de l'amphore et, toujours à genoux, je m’arc-boute et soulève. 
                Horreur et déception !...

          Je dois me rendre à l’évidence, ce que je viens de désensabler  n'est pas un vestige de l'antiquité romaine mais ... un très gros obus de marine (2) non explosé. Il est intact, tel qu’il à été tiré en août 1944 lors des combats du débarquement en Provence.
                 Je me ressaisis et consulte mon ordinateur : moins 45 mètres !
                 Oh là là! Merci pour les paliers! ... vingt minutes au total.
                Un battement de jambes et je décolle prestement du fond. Pour m’allèger, je prend une puissante inspiration. Tiens ! L’arrivée d’air se durci. Étrange ! Déjà besoin de ma réserve d’air ? Inquiet, j’abaisse la tige du levier. Aucun changement. La difficulté à inspirer s’intensifie. Invraisemblable, j’ai dû mal actionner le mécanisme ? Mais non, je le relève et je l’actionne une seconde fois, tout en expirant une petite goulée d’air.
                     Rien ne vient. C’est la panne d’air !

                 Merde ... j'ai dû prendre un bloc presque vide dont la tige de réserve est restée relevée par mégarde (3).
                      Angoisse. Décharge d’adrénaline. Très forte...
                    Dans ma tête tout se bouscule :

                 Je suis foutu ! Quel con ! Voilà, t’as gagné mon pote !...

           “Éviter la panique”. Je dois à tout prix éviter la panique !... Facile à dire... J’amplifie doucement mon palmage. Moins 35. En remontant, la pression ambiante de l’eau s’abaisse et l’air se dilate légèrement dans mon bloc. De ce fait, cela permet d’alimenter un peu mes poumons. J’en profite : j’expire très très lentement puis, avec assurance, je reprend une inspiration. Je continue calmement ma remontée. Je me sens mieux. Je me parle à moi-même pour me rassurer :
                     “Allons Michel, tu vas t’en sortir : Il y à quelques jours tu faisais des apnées à moins trente. tu faisais bien souvent des apnées de moins trente il n’y a pas si longtemps. Tu en es toujours capable ... Là, aujourd'hui ... facile ! : Tu n'as que la remontée à effectuer".
                      Une fraction de seconde je suis saisi d’une irrésistible envie de regagner la surface en gonflant ma “fenzy”(4), de tenter ma chance en risquant le tout pour le tout.
                     Je n’ai qu’une obsession : je veux revoir la surface ! Soudainement une voix intérieure me hurle littéralement dans le cerveau : STOP ! Du calme, Michel ... du calme. C’est un ordre ! Inconsciemment j’obéis. Je réalise dans le même temps que je viens de frôler la panique. Céder à la panique, dans ma situation, c’est une mort certaine et rapide par embolie. J’expire à fond et une courte succion sur le détendeur me redonne avec un peu d’air, de la volonté et de la clarté d’esprit.
                   Je palme à l'économie, du bout des pieds, en ne remuant pratiquement que les chevilles. Cette lente progression freine les besoins mes muscles avides d’oxygène.
         “Et les paliers ?”. “ C’est vrai que, même si je parviens ainsi à rejoindre le bateau, il me sera totalement impossible d’effectuer mes paliers...”. D’ailleurs, il est évident je vais devoir sortir trop éloigné de ce dernier et une fois en surface je n'aurais jamais le temps d’aller reprendre un autre bloc d’air avant de me ré-immerger. “Merde... c’est l’accident de décompression à la sortie, ... la paralysie m’aura stoppé dans les trois minutes”.
                  “Hé ben, tu l'as cherchée, tu l'as trouvée ! La voilà ta dernière plongée !”.

                 Et maintenant, vieux malin ?
                   Que faire ?   Expiration.  Il faut vivre... VIVRE !   Inspiration.
                   Un peu d’air s'infiltre encore dans mes poumons.
               Je veux vivre ! Je continue à progresser dans ma remontée quant au loin, mais carrément à ma droite, côté large, imprécise et confuse m'apparaît telle une vision fantomatique, une colonne d’eau blanche qui se détache faiblement sur le bleu profond de l’abîme et fixe mon attention.  
                     Des plongeurs !
                  Des plongeurs, je ne les vois pas, mais aucun doute, ce ne peut être que des plongeurs. Leurs bulles remontent vers la surface en chapelets compacts, troublant la limpidité des eaux.
                   Je modifie alors radicalement mon parcours. Je commence à palmer dans cette nouvelle direction qui m'éloigne du bateau. C’est mon seul et dernier espoir de survie.
                Un curieux monologue intérieur s’instaure :   “Nage à l’économie Michel”, “Soit calme”, “N’accélère pas”, “Tu vas le faire", "C'est ce que tu enseignes à tes élèves", " Tu peux le faire", " Calme-toi", "Tu vas y arriver", "Tu le peux ! " Tu le dois" !
                   Il faut que je respire...

                  Il me faut de l’air... Je ferme les yeux (gros consommateurs d'oxygène) ...

          Alors seulement j’expire lentement, très lentement ... profondément. Je parviens ainsi à gagner quelques précieuses secondes de répit : Mon subconscient sait que toujours l'expiration est inévitablement suivie d’une inspiration lénifiante... Je prend mon temps, je suce avec difficulté un infime filet d’air.
                 J'entrouvre un œil. Ça y’est, là, un peu plus bas... Ils sont quatre... Ils bougent peu, ils prennent des photos ... il y a des éclairs de flashes.
                Je les distingue mieux maintenant. Eux ne me voient pas. Une bonne vingtaine de mètres nous séparent et malheureusement ils se trouvent plus bas que moi et ils me tournent le dos.

                 Pourvu qu’ils ne s’éloignent pas en passant d’une roche à l’autre...
                J’ai la peur au ventre... Crever comme ça ! C’est vraiment trop bête !
               “ Un, deux, trois, quatre !”, “Un, deux, trois quatre !”. Je me vide la tête en comptant chacun de mes coups de palmes. Je me rapproche du groupe. Quelle malchance, personne ne me remarque. Je suis encore à un niveau trop élevé et me trouve de ce fait en dehors de leur champ de vision.
                 Ma glotte remonte péniblement et j'essaye de déglutir avec difficulté, je n'ai plus de salive, un feu d'enfer me ravage le fond de la gorge.
                   Encore dix mètres. Je n’en peux plus. Je crache une goulée d’air.            
           Léger soulagement ... car instinctivement mon cerveau sait que d'ordinaire l'inspiration d'air frais suit immédiatement une expiration. Mais le répit n'est que de quelques secondes : rien n'arrive de mes poumons complétement vides.                                               Plus d'air !
                     Mon Dieu, je vous en prie ... faites que ces plongeurs ne bougent pas.
                     Il me faut descendre à leur niveau. Impératif.
                     La pression augmente, me comprime.
                     Mon cœur s’affole.
                     Cinq mètres... Trois... Deux...
                Avec la volonté du désespoir, je tente un dernier effort : On coup de palme et je tends un bras devant moi...
                   Geste désespéré ... et vain. Je ferme les yeux ...
                   Les poumons en feu, j’éclate.

                Je lâche mon détendeur. Je sens l'eau froide comme la mort qui entre dans ma bouche.

                   C’est la fin !
                   Un ouragan pénètre en moi !
                     .......
                    Je pleure.
                    Miracle. Je vis.
             Je reconnais Philippe Goffe, le grand Lorrain de la “palanquée Mouginot”, il m'immobilise entre ses bras.
                    Il fait fuser l'air de son détendeur entre mes dents. Il me donne la Vie.
                    Sauvé ! Je suis sauvé ... je suis vivant !
                    Incroyable !
                    L'Ami Mouginot et ses plongeurs m’entourent.
                 À tour de rôle ils m’approvisionnent en air.

                  Lentement nous rejoignions tous ensemble des eaux moins profondes.
                Les interminables paliers ... que du plaisir ! Je ne contrôle rien, les autres sont là. Je passerais des heures en attente aux paliers si besoin était, je m’en fous : Je suis là, vivant ! Vivant je vous dis ! VIVANT !!!
               Nous voici enfin de retour sur L’Idéal où l’inquiétude commençait à poindre sérieusement dans un silence pesant : Tout le monde à bord se rendait bien compte que certains plongeurs devaient être remontés depuis longtemps et que le capitaine, inquiet de leurs absences, tardait à faire l'appel. Soudain le bateau inondé de soleil s'anime et le pont résonne des interpellations joyeuses qui nous accueillent :
               - Alors les gars, on vous croyait déjà perdus corps et biens.
               - C’est vrai, quoi, on attendait ... un faire-part !
            - Oui, on était vraiment sur le point d'organiser la quête pour vous offrir une belle couronne de fleurs.
             Mes sauveurs, silencieux, ne sachant trop que répondre à cette avalanche de lazzis, se sont tournés vers moi.
              - Allez, les amis, on sort le pastis et l’eau fraîche. Tournée générale sur mon compte, s’il vous plaît. On l’a bien mérité. Qu’en dites-vous les gars ? Il ne suffit pas de vivre dangereusement, il faut profiter des bons moments de la vie ! Non ? Qu’en dites-vous ?
           Rires et applaudissements me rassurent quant à l’opportunité de cette honnête proposition.

         D’un geste, je demande un retour au calme pour reprendre la parole :     
           - S'il vous plaît, écoutez-moi amis plongeurs, je tiens à vous dire que ce matin j'ai fait une extraordinaire découverte : La Baraka, ça existe ! Oui,  je vous l'affirme, sérieusement, la Chance, ça existe. Vous en voulez la preuve : Je l'ai saisie à bras le corps, moi-même, il y a quelques instants. Je vous certifie qu’il y a à peine une demi-heure, je vivais mon ultime plongée ! Vraiment j'ai cru ma dernière heure arrivée. J’ai bien failli de pas être actuellement à même de vous raconter les méfaits d’une plongée de trop ! Il y a de quoi méditer sur mon aventure car je viens de faire ce que l'on peut qualifier être " une plongée de trop".  On peut toujours penser que Livre Noir de la Plongée ne s’ouvrira jamais pour soi-même ... Que l’accident, ça n’arrive qu’aux autres, c’est bien connu. D’accord ?
             Ce préambule surprend mon auditoire car en fait personne à bord n’a eut la moindre idée du drame qui se jouait en plongée il y a quelques minutes. 
            - Je sais que vous ignorez les causes de notre retard aussi je me fais le plaisir de vous présenter “mes sauveurs”.
              Brièvement j’explique ma mésaventure... et je m’empresse de conclure :
           - C’est une sacrée leçon que je ne suis pas prêt d’oublier. Une plongée profonde, ça ne s’improvise jamais, ça se prépare... toujours!
             Levant mon verre :
              -  A notre bonne santé à nous tous et vive la Vie !
             Puis, me tournant vers mon sauveteur : 
           - Mon ami et cher Philippe, sincèrement je ne sais de quelle façon je vais pouvoir te remercier : sans toi, je disais adieu à la vie !  A propos, j’ignore comment tu m’a tiré de ce mauvais pas. Je dois te dire que lorsque je suis arrivé sur votre groupe, j’étais déjà bel et bien dans le coltar. 
           - Ben, quand j’ai senti que, derrière moi, on agrippait mes palmes, je me suis retourné. À voir la tronche que tu faisais dans ton masque, j'ai tout de suite compris et je n’ai pas attendu que tu me fasses le signe  “je n’ai plus d’air ”. Je t’ai collé mon embout dans la bouche... Tu connais la suite. À vrai dire Michel, tout l’monde le sait bien, quand c’est pas l’heure... c’est pas l’heure ! Y’a rien à ajouter.
                   Une pause, puis il reprend :
               - Ah oui, tu voulais me remercier ?  Hé bien, je vais te dire,  toi-même tu l'as déjà répété cent fois... " Il n'y a pas de bons plongeurs, il n'y a que de vieux plongeurs " Alors Michel, il me suffira de savoir que tu respectes l’adage de ces vieux plongeurs : NE PLONGE JAMAIS SEUL. Sincèrement, là, tu me feras le plus grand de tous les plaisirs. C’est très facile, ça ne coûte rien et ça peut durer très longtemps. C'est mon souhait !
              Laissant dans l’air un subtil parfum anisé, L’Idéal, nonchalant, trace derrière lui sur le cristal fluide du golfe clair, un sillage argenté qui rejoint l’horizon à l’infini.
                        C’est une journée exceptionnelle.
                        Elle est pas belle la vie ?
                         



(1) Ordinateur de poignet de marque ”Beuchat” permettant de connaître instantanément les temps de la plongée en cours, la profondeur atteinte et les paliers éventuels.

 

(2) À notre retour au port de Saint-Tropez je suis allé à la Capitainerie signaler ma découverte. Le Service de Déminage de la Sécurité Civile, dépêchée sur le lieux à fait exploser l’engin dans les heures qui ont suivies.

 

(3) C’était à l’époque où l’usage du manomètre submersible permettant un contrôle réel et permanent du stock d’air n’était pas généralisé. La robinetterie de la bouteille comportait un dispositif de sécurité: un petit levier actionné par une tige coulissante, dite “de réserve” le tenait en “position levée” après gonflage. Lorsque la pression du bloc descendait à 30 bars, un pointeau à ressort taré venait étrangler progressivement le flux d’air. Une traction sur la tige de réserve permettait d’abaisser le levier qui rétractait le pointeau, libérant l’air inemployé. La réserve était alors dite "ouverte" ou "tirée". Cet instant était le signal impératif de "fin de plongée" qui commandait impérativement le début de remontée vers la surface de toute la palanquée.

 

(4) La “Fenzy”, était une collerette gonflable en tissus caoutchouté de couleur orangée. Elle porte le nom de son  inventeur, un ingénieur roumain travaillant en France pour la Marine Nationale. Elle servait de bouée d’équilibrage et de parachute ascensionnel lors des remontées de plongées profondes. Elle a été supplantée par le “gilet stabilisateur” ou “jackette” et n’est plus utilisée de nos jours que par les nostalgiques des temps héroïques de la plongée. 

(*) William Sommerset MAUGHAM (1874-1965), dramaturge et romancier britannique raconte :

La Mort Parle : A Bagdad, un jour, un marchand envoya son serviteur acheter des provisions au marché, mais bien vite il le vit revenir, blême et tremblant de peur. Le serviteur lui dit : Maître, il y a un moment, je me trouvais sur la place du marché et une femme m’a bousculé dans la foule; or, en me retournant, j’ai vu que c’était la Mort qui venait de me bousculer. Elle a fait vers moi un geste de menace. S’il vous plaît, prêtez-moi votre cheval afin que je fuie cette cité pour échapper à mon destin. Je galoperai jusqu’à Samarra et la Mort ne m’y trouvera pas”. Le marchand lui prêta son cheval et le serviteur le monta, lui enfonça ses éperons dans les flancs et s’éloigna au grand galop. Alors le marchand descendit jusqu’à la place du marché et, lorsqu’il me vit, debout dans la foule, il vint à moi et me demanda - Pourquoi as-tu fait à mon serviteur un geste de menace en le rencontrant ce matin ? - Mais ce n’était pas un geste de menace, répondis-je, ce n’était qu’un sursaut de surprise. J’étais très étonnée de le voir, ici, à Bagdad, car j'ai rendez-vous avec lui, ce soir, à Samarra.

St Tropez, protégez-moi !

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PAPY  : La descente aux enfers.
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Je remarque une petite gorgone blanche.
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   L’œil de l’Apogon.
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  Le banc de Saupes dans les posidonies.
1609-CAVALAIRE-Banc-de-SAUPES.jpg    

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21 mars 2012 3 21 /03 /mars /2012 00:01

 
  JURASSIC - PLONGÉE

 


                                                                                                 Un poisson mal préparé
                                                                           aurait donné sa vie en vain ?
                                                                                       LU  YU (La Sagesse).


 

          La côte africaine sommeillait encore dans l’ombre de la nuit, mais, à l’avant de son cockpit, le regard averti que le pilote de l’Airbus portait sur l’immensité de l’Océan Indien, pouvait déceler les prémices de l’aube qui pointait à l’horizon.
          La veille, vendredi en début d’après-midi, le vol hebdomadaire Air France à destination de Moroni, capitale de la Grande Comore, avait quitté l’aéroport d’Orly par une glaciale matinée d’hiver. Notre avion, après plusieurs passages au poste de dégivrage et soixante-et-une secondes d’une interminable course, avait réussi, in-extremis, à s’arracher du tarmac, alors qu’une tempête de pluie et de neige fondue s’abattait sur les pistes.
         Ce jour-là, un nombre très restreint de passagers s’étaient embarqués sur ce long courrier. De ce fait, le personnel de bord avait été peu sollicité et avant même l’heure du décollage nous avions pris de temps de sympathiser avec Rudy le Chef de cabine et Colette une charmante et jeune hôtesse.
         Le hasard avait bien fait les choses car, tout comme nous, ils étaient des passionnés de plongée sous-marine. À la vue du dessin brodé sur notre tee-shirt représentant une amphore ils avaient deviné que des aspirations communes nous animaient. De ce fait, ils nous prièrent, peu après l’envol, de bien vouloir changer de sièges prétextant que nous pourrions ainsi parler plus aisément ensemble de notre sport préféré. Nous nous sommes donc regroupés dans les places disponibles proches de leur cabine de service, à proximité immédiate de la porte d’accès avant de l’appareil.
          En raison de cette bienveillante complicité et pour fêter la rencontre, une première bouteille de Dom Pérignon nous était aussitôt offerte par Lulu, le Commandant de bord, lui-même plongeur chevronné, venu faire notre connaissance.  Eh oui! C’était le bon temps d’Air France. Si bien que déjà, avant l’escale de la Californie... mais non... à Nice, nous étions, dans une forme comment dire... pour le moins euphorique!
       Quand je dis nous je veux parler de Rara ( Jean-Pierre RAMEAU), Coco, Jean-Michel, Yves et moi-même. Ce voyage était projeté depuis des années et notre rêve se réalisait. Nous allions retrouver l’un de nos anciens moniteurs de Saint-Tropez, le sympathique et déconcertant Jean-Louis GÉRAUD.
         Alors qu’il exerçait ses talents d’ingénieur en informatique dans une société multinationale, en début 1978 il avait brusquement donné sa démission puis il avait quitté sa bonne ville d’Orléans dans le courant du mois d’avril. C’est seulement bien plus tard, l’année suivante, que nous avons appris que sa décision de vivre l’Aventure l’avait poussé à rencontrer un certain Robert Denard puis à s’installer aux Comores sous son égide.
          Car notre ami s’était parfaitement intégré à la fameuse équipe du Corsaire de la République et avait suivi dans le Canal de Mosambique le déroulement de “l’Opération Atlantide” en tant que photographe exclusif,. A travers l’objectif de son Leïka il avait réalisé un reportage unique et inédit :  le débarquement furtif des quarante-trois Mercenaires déguisés en piroguiers sur la plage de la Guinguette à Itsandra, l’arrestation de Ali Soilih
(1) l’usurpateur, et sa “tentative d’évasion” au cours de laquelle il fut abattu... le retour du Président Ahmed Abdallah (2) sous les ovations du peuple, la création de la Garde Présidentielle, la prise officielle du pouvoir... à la grande satisfaction  du gouvernement  français.
      Très spirituel et sûrement bien intentionné, l’un de nos honorables correspondants, n’avait pas hésité à rebaptiser l’affaire “Opération pour le Cheik”. Pas très sympa envers Bob Denard ! Pour financer le coup, notre célèbre chef de guerre avait hypothéqué l’ensemble de ses biens et raclé ses fonds de tiroirs.
L’on connaît la suite ...!
        Les événements de restauration du pouvoir terminés, Jean-Louis avait bénéficié d’une autorisation présidentielle de séjour sur l’ensemble de la jeune République Fédérale  Islamique. Ngazidja, la Grande Comore, avait été choisie sur le conseil de son protecteur afin de créer une base de plongée qui pourrait servir à l’entraînement de ses soldats. Une base de plongée sous-marine avait donc été aménagée sur la côte ouest de l’île, face à l’Afrique. Aux abords immédiats de Moroni, dans une petite palmeraie longeant le littoral, un hôtel-restaurant dénommé “Le Coelacanthe” accueillait donc, sur le bord de la piscine en réfection prolongée, une École de Plongée. Depuis la mise en service cette dernière fonctionnait avec des équipements plutôt fatigués. Comme d’ailleurs la vétuste mais increvable Renault 4 L dont le boss se servait chaque jour pour trimballer clients et matériel sur la route longeant le bord de mer afin de rejoindre les divers sites de plongée.
         Il n’en fallait pas plus, avec l’enthousiasme et le dynamisme de notre copain, pour motiver quelques soldats, ses anciens camarades, à plonger avec lui.
L’essentiel était atteint, l’école fonctionnait sous les couleurs de la FFESSM
(3) malgré le manque évident de clientèle. Le courage et la persévérance, furent, à vrai dire, ses deux seuls atouts, car en cette période tourmentée diverses catastrophes s’étant succédées : éruptions volcaniques, coup d’état, déclaration hâtive de l’indépendance, révolution, famine... les voyageurs évitaient ce coin de paradis perdu au large de l’Afrique. Aussi la politique des nouveaux dirigeants prévoyait-elle en priorité un programme d’ouverture au tourisme des Iles de la Lune (4).
           Après escale à Djeddah en Arabie et à Dar-es-Salaam en Tanzanie, soit, depuis Paris, quinze heures passablement... fatigantes, notre hôtesse nous arrache avec difficultés d’un pâteux sommeil afin que nous puissions admirer le lever du jour sur l’Océan Indien.
             Spectacle fabuleux, le début du monde!
         Dans cette nuit sans lune, le noir insondable de l’océan se confondait encore avec la voûte céleste. Seules quelques rares étoiles scintillaient à l’horizon encombré de brumes tropicales. Une sombre lueur indigo semblait vouloir se propager d’un point confus de l’espace et se répandre imperceptiblement sur la ligne indéfinie des flots. D’abord tache d’un mauve profond, puis d’une  intensité virant au lilas, une confuse nuée pourpre s’infiltra, créant les cieux incertains de l’aurore. Une lueur orangée se propagea. En son centre inférieur, un point d’or lapidaire s’incrusta et, tel un éclat vermeil, jaillit soudain hors de l’ombre. S’agrandissant dans une démesure flamboyante  il embrasa le monde avec une majestueuse et rayonnante lenteur. L’astre du jour renaissait et dévoilant la mer infinie, il s’élevait dans l’azur, subtile splendeur matinale des tropiques.
           Le temps de prendre un petit déjeuner réparateur et nous survolions le massif volcanique du Kartala
(5) car l’avion effectuait le tour de l’île avant d’atterrir en douceur sur la piste de l’Aéroport International de Hahaya.
             A l’ouverture de la porte de l’appareil, une surprise nous attendait.
          Un superbe et rutilant tapis, du plus beau rouge présidentiel jamais vu, recouvrait les marches de l’escalier mobile et se déroulait jusqu’au bâtiment de l’aéroport. En outre, s’offrant à nos yeux  étonnés, une fanfare aux uniformes resplendissants prenait place dans l’ombre, sous l’aile de l’Airbus. A peine étions-nous dans l’encadrement de la sortie, que, sur un geste du Chef de musique, éclatèrent les brillants flonflons de la triomphale Marche de Radetsky du père Strauss.  Quelque peu revu et corrigé à la comorienne,  ce classique était devenu, croyez-moi, plus qu’impressionnant... Pathétique.
             Incroyable ce Jean-Louis... quand même, il fait fort...! Nous l’apercevons au bord du tarmac précédant la petite foule avide d’aller à la rencontre des passagers... Il nous adresse de grands signes d’amitié. Nous restons stupéfaits d’un tel accueil. Tout le Comité des Fêtes est mobilisé en l’honneur de notre arrivée.
             Quelle réception. C’est trop !
          Enfin, c’est tout lui.  Que voulez-vous, il est comme ça notre ami ... ! Toujours des idées pas ordinaires en tête.  Bravo ! Bravissimo !!
           Alors que nous sommes sur le point de franchir le seuil de l’appareil en vainqueurs (... de je ne sais trop quoi, d’ailleurs) et que nous levions les bras au ciel pour être dans le ton, une bousculade se produit derrière nous. Sans un mot, quatre sinistres voyageurs du genre malappris et très pressés, déguisés en malabars noirs à cheveux ras, nous refoulent dans la cabine. Bon...! Ils veulent très certainement être les premiers à descendre et ainsi... faire figures de vedettes...
           - Je vous en prie... Mais oui les gars, vous gênez pas.  C’est ça, faites comme chez vous s’exclame Rara.
         Les costauds s’arrêtent subitement sur la plate-forme au sommet des marches. Et là ... ils se retournent vers nous. Malaise! Notre sourire goguenard disparaît. Spontanément nous regagnons nos sièges tout proches.
            Au grand complet l’équipage du jet a pris place sur le côté de la sortie et se fige en un garde à vous impeccable. Le regard sombre et persuasif de Rudy nous intime l’ordre de ne pas bouger. Le commandant Lucien Picollier
(6), avec un sens inné de la mise en scène théâtrale, ouvre avec précautions le rideau séparatif et dévoile le compartiment première classe.
           Il rectifie sa position, salue et avec compétence et distinction déclame :  "Monsieur le Président, les Notables de la République Fédérale Islamique des Comores, vos fidèles sujets, sont à vos pieds, et, à l’occasion bénie de votre retour en la Mère Patrie, ils sont impatients de vous souhaiter Bienvenue et Longue Vie “.
         Portant la soixantaine gaillarde, s’avance alors avec dignité un petit  homme au teint bistré drapé avec élégance dans une gandoura blanche et coiffé de la traditionnelle kofia verte et or. Avant de quitter l’avion, il fait quelques pas en notre direction. Dans un sourire bienveillant ou perce l’indulgence, contre toute attente, il nous adresse soudain la parole:
            - Mille regrets, Messieurs, mais Monsieur Jean-Louis est d’abord venu pour me saluer, suivant la coutume. Je vous prie, veuillez patienter encore un bref instant.
              Nous sommes pour le moins confus et n’avons pour toute réaction qu’un timide “Bien sûr, Monsieur le Président” à peine audible et prononcé maladroitement alors que, surpris, nous avons bien du mal à nous lever de nos sièges.
              Hé oui, aux Comores, Jean-Louis est un notable... parmi les autres.
Et un authentique président ne se doit-il pas d’être en toutes occasions au courant du moindre fait, n’est-ce pas ?
           Cet incident, survenu fort à propos aux yeux des autorités locales, nous permet d’éviter la fouille systématique du contrôle douanier musulman. Sans restriction, nous pourrons ainsi trinquer à votre santé. Merci Monsieur le Président.
              Les retrouvailles sont décontractées et joyeuses.
          Moins de dix minutes plus tard, sous un ciel lourd, couvert de nuages sombres, transpirant dans une chaleur moite dépassant déjà les trente degrés Celsius, nous grimpons tous sur le plateau d’un antique pick-up Peugeot 203 mis à notre disposition. Assis sur nos sacs de plongée, nous roulons à vive allure en direction de Moroni. Longue de vingt-six kilomètres et récemment construite par la “Colas”, la route nationale bitumée traverse une forêt primaire, la forêt vierge, la vraie avec des arbres gigantesques, des lianes et des palmiers dignes des décors d'Hollywood.
          Nous percevons cette végétation luxuriante. La chatoyante palette des nuances alterne du jaune citron au vert vif suivant les variétés de fougères pour virer à l’ocre roux sur les lichens et autres mousses. Elle passe au vert sombre pour les volubilis et les orchidées, ces innombrables plantes parasitaires accrochées aux branches des banyans-étrangleurs, cocotiers, palétuviers, camphriers ou autres mangliers.
         Quelques heures avant notre passage, la pluie battante d’une nuée tropicale a lacéré la végétation et ravivé teintes et odeurs. Bizarrement, je retrouve dans ces multiples senteurs les fragrances inconnues imaginées autrefois à la lecture de Robinson Crusoé, lorsque j’étais gamin.

               Quelle mémoire ! n'est-ce pas ?
           Brusquement nous dérapons, un tête-à-queue brutal me sort de ma rêverie. Notre véhicule effectue une belle glissade qui se termine par une embardée dans l’herbe grasse du bas côté de la route. Le Peugeot s’immobilise.
             Le jeune chauffeur comorien, pieds nus, sort de l’habitacle. Très sûr de lui, il vient expliquer calmement à Jean-Louis:
           - Pas ma faute, tu sais Bwana ! Toi comprendre... aquaplaning c’est encore coup “champignons la nuit”
(7) !
               - Qu’est-ce que tu racontes ?
               - Toi voir, Bwana... Toi facile demander notre Père Président lui poser

“ lilictriciti ” (8), ok ? Après... toi voir, nous tous contents ...  “ akouna matata (9) ” ... sûr pas accident !
                        Il y a une solution pour tout, n’est-ce pas.
                    A peine le temps de prendre nos quartiers chez notre ami, à vrai dire   dans une villa de l’Ambassade de France où officie son épouse, que le voici nous enjoignant d’enfiler nos maillots de bains.
                        - Allez, en route pour une première plongée.  
                   A deux pas du Club, alignés au ras de l’eau sur la petite jetée en épi, nous attendent blocs équipés, palmes et ceintures de plombs. Le pied : trente secondes plus tard nous faisons des bulles. Un ravissement! Il faut avoir plongé aux Comores pour comprendre.
               Un tombant vertigineux de lave ténébreuse se propose immédiatement à nos regards.  Le bleu des abysses est sans fin... Le décor ? De monumentales gorgones rouges, de grands arbres de  corail noir, un peuple d’anthias roses, des balistes-niger, des mérous, des perroquets, des carangues, des murènes... et même un requin-marteau. L’éblouissante nature de l’Eden... le temps jadis retrouvé en une balade inoubliable !
                      C’est bien connu, la plongée ça creuse les estomacs. Notre hôte, bien au courant du fait, nous avait manigancé une surprise de choix pour notre premier repas sur l’île. Il avait demandé au  patron  du “ Cœlacanthe”, de prévoir pour ses invités un repas du genre “délices des îles”. À peine sortis des profondeurs marines nous voici installés à la table d’honneur du restaurant de l’hôtel hébergeant le Club.
              Le super maître-queux de l’établissement n’était autre que la charmante Yvette Delacroix, l’épouse du patron d’un autre hôtel; elle nous avait mitonné un menu exotique dont le sommet, à nul autre pareil, était sa spécialité favorite: “Langouste des Comores et sa petite sauce vanille-coco”. Que mes yeux se ferment si je mens ... la merveille des merveilles ! A se pourlécher les doigts!
          Jean-Louis, en connaisseur, a su créer son Club dans le coin idéal. Recherchant une raison sociale, il l’avait baptisé du nom original de “Gombessa Plongée” en référence au poisson préhistorique et pourtant bien connu de tous les pêcheurs du Canal de Mozambique le “Gombessa” ou “Cœlacanthe”
(10).
                    Quelques jours plus tard, le talentueux conférencier de Connaissances du Monde, Marcel Isy-Schwart
(11), accompagné de ses deux fils, projetait son film à l’Alliance Française au cours d’une soirée unique. Il s’agissait d’un remarquable documentaire sur les coquillages dont le titre, “Les Joyaux des Mers du Sud”, avait retenu notre attention. La presse et les revues spécialisées, Océans en particulier,  avaient dit le plus grand bien de ce documentaire lors de sa sortie en métropole.
                 Après la conférence, enthousiasmés par le sujet et la réalisation dignes des meilleurs Disney ou Cousteau, nous émettons l’idée d’offrir un rafraîchissement au cinéaste. Enchanté, ce dernier nous propose de le rejoindre à son hôtel afin de discuter tranquillement autour d’un verre.
                     Aussitôt fait.
                  L’Ylang-Ylang
(12), nouvelle résidence hôtelière du groupe Accor est un lieu de rencontre privilégié dû à sa climatisation parfaite... et surtout, il faut le dire, grâce à la personnalité hors du commun de son affable et volubile Directeur Jean-Paul Delacroix. Dès avant même l’inauguration officielle des locaux, ce dernier avait su créer dans son établissement, une ambiance bienveillante des plus sympathiques. Avec lui, pas de clients... que des amis. Les nouveaux arrivants sont aussitôt présentés à tout un petit monde de coopérants, pilotes, stewards, mécaniciens, militaires, commerçants, personnel d’ambassade, navigateurs, ... ou rares touristes.
             Tant et si bien, que, de Marcel Isy-Schwart le scientifique à Jean-Pierre Lahouët le Breton mécanicien d’Air Comique
(13), de Thierry l’électricien à Maury le mercenaire, nous avons terminé la soirée à discuter et boire en compagnie de trois opérateurs de la télévision japonaise.
            Les Comores, au bon vieux temps des Colonies, était sous protectorat français. Au moment de l’indépendance les ressortissants Français quittèrent l’archipel. Les Sud-Africains, les Japonais et même les Américains ont tenté de s’implanter dans ces îles stratégiques. En vain! Cependant plus adroits dans leurs tentatives, les asiatiques seuls restaient encore en poste. De temps à autre une délégation japonaise venait sous prétexte de former le personnel et entretenir le matériel que leur gouvernement offrait en permanence à la jeune république. Leurs équipes techniques assuraient en particulier la maintenance des japawas
(14) ces insolites pirogues de pêche en plastique moulé. Les traditionnelles galawas creusées dans un étroit tronc de palissandre, équilibrées par un double balancier muni de flotteurs, ne permettaient qu’une pêche côtière restreinte alors que ces engins modernes, équipés de puissants moteurs Kawasaki  étaient les bienvenus car ils autorisaient une pêche fructueuse en haute mer.
                A l’époque de notre séjour, une chaîne de télévision nippone avait entrepris le tournage d’un film documentaire sur cette pêche traditionnelle pratiquée par les comoriens.
           Passé les vingt-deux heures... et quelques sakés, nous  surprenons Jean-Louis en grande conversation avec les  réalisateurs japonais. Dans un sabir anglo-british, il leur vantait les sensationnelles prises de vues sous-marines qu’ils auraient pu réaliser, s’ils avaient plongé en sa compagnie.
                        - Que ne nous sommes-nous rencontrés plus tôt ?
              - Qu’à cela ne tienne ! Demain c’est la dernière journée avant votre  départ ? O.K rien n’est perdu ! Je m’occupe de tout et je viendrai vous chercher vers quatre heures, passé midi. Je vous promets un scoop, du sensationnel. Les cinéastes enchantés de l’offre et y souscrivent d’emblée.
                 - Je vous assure, le scoop de votre vie, by Jove !... Vous pouvez m’en croire, comptez sur moi, confirme-t-il. Mais attention, surtout ne plongez pas demain matin car il faudra descendre... oui, descendre dans les profondeurs.  
                     - Allez, un dernier verre... à votre succès, conclut-il.
                Quelques minutes plus tard, sur un signe de notre Anglais de service, et après moult salutations nous nous éclipsons en catimini tandis que la fête quotidienne bat son plein autour du bar.
                 Nous montons en voiture. Sur le chemin du retour, nous soupçonnons  fort Jean Louis d’avoir trop parlé, trop promis... Contrairement à son habitude, il conserve un mutisme surprenant. Aucune explication ne vient éclairer notre lanterne et un silence pesant s’installe.
               - Ben quoi, c’est pas un drame si on ne trouve pas quelque chose de sensationnel à leur laisser filmer... à ces figures de mai soixante-huit. Ce sera de toutes façons une belle plongée s’exclame notre Rara rieur.
                       - Du calme, les gars. Du calme, laissez-moi réfléchir.
                 Et, dans la nuit tranquille, un plan d’enfer germe dans le cerveau du Grand Chef. Un coup tordu comme on en voit peu.
                       Un coup à la Géraud.
                     - Demain, nous on plonge profond et de très bonne heure. Je compte  sur vous. Salut ! déclare-t-il, nous déposant dans la cour de la villa.
Puis, à notre grande surprise, au lieu de descendre avec nous, il fait demi-tour et repart en direction du port sans un mot d’explication...
                        Cinq heures du matin.
           Le pavillon d’un trombone à coulisse nous claironne haut et fort le conventionnel “Plongeur lève-toi bien vite”. C’est bien du Jean-Louis au meilleur de sa forme.
                  - Pas le loisir d’un petit déjeuner, ce sera pour plus tard. Allez, vite, vite  en route ! On nous attend au Club.
                Étrange! Lui, si peu pressé d’ordinaire, pour ne pas dire toujours en   retard, quelle mouche le pique ?
                    Arrivés à la base, il fait encore nuit. Dans l’obscurité du parc, un tee-shirt et des tennis blancs voltigent sans bruit entre les palmiers. Ils s’approchent de nous. Non, mais je rêve, j’hallucine? Je vois “l’Homme Invisible.
                     - Salam alekoum !
                      Et en plus, il parle ... Un rire sympathique ponctue le salut.
                  Alekoum salam ! Ouf ! C’est l'ami Saïd, l’homme à tout faire du Club. Vous pigez ... noir de peau et short noir... dans le noir nocturne, c’est... mythique.
              - Le radeau, il t’attend sur la Pijot comme toi dire, Bwana! Gros paquet dans local trop lourd pour mes bras.
                   Dès que le local de plongée est ouvert, nous découvrons la présence d’un long ballot de carton ondulé serti de grillage. L’ordre nous est donné de le saisir. Nous constatons que ce colis est étrangement humide. Nous le hissons avec ménagement sur le radeau, dans la camionnette.
                     Qu’est-ce que ça peut bien être?...
                      Les équipements de plongée complètent la cargaison.
                 Nous partons. Nos deux voitures reviennent à petite allure vers Moroni que vous traversons ainsi que Nguni et Ikoni. Nous arrivons dans la campagne et avant d’arriver à Salimani nous empruntons une piste sur notre droite. Nous stoppons au coin d’une cocoteraie proche du bord de mer. Porter le radeau, le mettre à l’eau et charger le matériel, la besogne est vivement effectuée. Nous nous équipons en silence.
                    Saïd reste de garde sur place, mission de confiance.
              Sur les indications du conspirateur et avec son aide, nous palmons vers le large en poussant l’esquif fait de planches et  de chambres à air de camion. Nous contournons la barrière de corail toute proche.
                   Le jour se lève. Il est maintenant six heures. Jean-Louis stoppe notre progression. Briefing. En préambule il nous conseille de l’écouter sans poser de questions, d’agir vite, et surtout de respecter nos paliers lors de la remontée.
                  - Nous allons descendre à près de soixante-dix mètres. C’est du sérieux les gars.  Je pars en premier. Suivez bien mes instructions. Les voici :
- 1. Une minute après mon immersion, Michel, tu descends à ton tour dans mes bulles. Tu déroules la mitane
(15) et tu l’arrimes à une patate de corail juste au-dessus d’une grotte à l’intérieur de laquelle je serai déjà. Tu remontes aussitôt lentement sans chercher à me rejoindre.
- 2. Une minute après ton départ, Jean-Mi et Rara te suivront avec le colis. Attention, soutenez-le bien, il est lesté pour aider à la descente. Ne le lâchez pas car le fond se trouve trois cents mètres plus bas... Équilibrez-vous à l’aide de votre Fenzy
(16) Je vous réceptionne sur la petite plage de sable, devant l’entrée de la grotte. Ensuite vous remontez immédiatement. D’accord ?
- 3. Coco reste de surveillance en surface. Il relie la mitane au radeau afin d’éviter sa  dérive. Il surveillera chacun des plongeurs au palier et leur portera éventuellement les blocs d’air de secours.
                       Nous interrogeant du regard, il conclut :
- C’est o.k ? Bien compris ? Pas de fantaisie, nous devons tous replonger en fin de journée ! Quant à moi, avec un max de dix minutes au fond, je suis de retour dans moins d’une heure.
                Muni d’une torche étanche et d’une curieuse boite à malices, en fait un Tupperware au couvercle percé de petits trous, il expire, se laisse couler comme un phoque et disparaît dans les profondeurs.
                     Le scénario se réalise absolument comme prévu.
Paliers terminés, chacun a regagné la surface. Cinquante-cinq minutes après son départ, Jean-Louis émerge à son tour, les bras encombrés par le carton replié du mystérieux paquet.
                - On est complet ? Parfait! L’affaire est dans le sac, ni vu, ni connu. On rentre. Laissons la mitane sur place... pour ce soir.
Ah ! Qu’est-ce que ça signifie ? Il ne veut toujours pas s’expliquer !
L’air désintéressé, nous jouons le jeu et parlons d’aller sans lui faire un tour au marché moderne
(17) dans le but d’effectuer les achats indispensables à un  super casse-croûte matinal.
              -  C’est ça, avec un peu de chance, vous dénicherez peut-être un autre Gombessa.
                   Le mot “autre” nous intrigue. Réaction générale et bruit de foule.
         - Direction la villa et ... à table, Jean-Louis, sinon pas de plongeurs disponibles cet après-midi, menace Coco. Malicieux... le chef. Il a attendu que les oeufs soient frits et notre réserve de beaujolais débouchée, pour daigner enfin s’expliquer.
             - Voilà!... mais que ceci reste bien entre nous. C’est strictement confidentiel et jamais personne ne devra connaître avant longtemps le détail de cette journée. Promis ? Eh bien, ce soir, au fond des mers, vous allez vivre un moment inoubliable, une entrevue historique : L’Homme face à son Origine la plus lointaine connue à ce jour, le Latimeria-Chalumnae, le fameux Cœlacanthe.
                 Nous sommes sidérés.
        Comment ? Jean-Louis capable de nous montrer le survivant des Ages pré-farouches?
                 Stupéfiant !
                Sûr de lui, le sourire aux lèvres, il continue.    
          - Vous avez tous en mémoire notre vieil ami Marcel Desgoulanges. Mais avez-vous souvenance de sa théorie relative au chaînon manquant de notre évolution? Non, ça ne vous dit pas grand chose?
              - Alors écoutez-moi un peu !
           “ L'apparition des premiers de ces poissons, les cœlacanthes, remonte à 350 millions d’années et l'on pensait qu'ils avaient disparu il y a environ 70 millions d’années, époque où l’on situe également la disparition des dinosaures.
“ Les pêcheurs comoriens, eux, connaissent la bestiole depuis toujours. Avec la tsit-tsit, leur ligne de fond en coton tressé amorcée d’un petit vif, le roudi, ils capturent de temps à autre ce grand poisson bleu, hélas trop gras pour être mangé. Prise fort utile néanmoins car ses larges écailles épineuses sont séchées au soleil puis utilisées pour le grattage des chambres à air de bicyclettes après crevaison, afin de faciliter la pose des rustines.
“ Le premier cœlacanthe moderne fût capturé en Afrique du Sud dans les filets du chalutier Nérine le 22 Décembre 1938, à l’embouchure du fleuve Chalumna.
“La jeune biologiste, Miss Mary Courtnay-Latimer, remarqua ce poisson bizarre et prévint le professeur J.L.B. Smith qui identifia aussitôt le fossile vivant. Pour rendre hommage à la perspicacité de sa collègue, il lui emprunta son nom et lui accolant celui du lieu de capture, il créa ainsi l’appellation latine de l’animal.
(18)
“ Il faut attendre 1952 pour bénéficier d’autres captures à Domoni et Ikoni, ici, aux Comores. Elles permettent d’étudier ce phénomène préhistorique dont les nageoires ventrales, en forme de battoirs, ont une structure pédonculée évoquant une patte.
“ Ce poisson possède les vestiges d’un poumon, organe cylindrique et graisseux, qui jadis, coexistait avec l’appareil branchial. Cela lui aurait permis le passage de la vie aquatique à la vie sur la terre ferme, car en se hissant hors de l’eau sur ses pattes-nageoires, il a évolué à terme vers  le Singe Acquaticus cher à Desgoulanges.
“ Son poids atteint jusqu’à 90 kgs pour 1m80 de long, mais étonnamment, son minuscule cerveau ne pèse que trois grammes. Tel qu’il est - sans doute créature parfaite - au travers des siècles il a réussi à rester intact et faire la “une” de France Soir en devenant la vedette d’une photo auprès de l’actrice Martine Carol, sous la légende “La Belle et son Ancêtre”.
“ Le cœlacanthe vit d’ordinaire entre 200 et 800 mètres de profondeur. Il remonte parfois vers la surface, les nuits sans lune, comme ce soir. Je vous assure, ces Japs sont ici au bon moment... Mais si... je vous l’assure ... ce serait, au fond, une malchance de tous les diables si, aujourd'hui, on ne rencontrait pas un seul spécimen de l'animal !”
             Son speech achevé, Jean-Louis se lève de table. Il s’étire et dans un sourire, nous annonce:
           - Pour tous, c’est maintenant l’heure de la sieste. Je confirme : de la sieste obligatoire car rien de tel ici pour conserver la forme olympique.
             En fait il n’a rien dévoilé, l’énigme subsiste et le malin nous tient en haleine. Si c’est le but recherché, il a gagné ! Comment peut-il savoir que le fossile sera au rendez-vous ? L’aurait-il déjà vu ? Où ? Quand ? Quel appât miracle a-t-il déposé dans la grotte ? Connaissait-il déjà ce site? Il a l’air si sûr de lui... Pourquoi tant de mystère ?
          Autant de questions sans réponses ! Nous sentons bien qu’il est inutile d’insister, il faut se résigner à attendre la nuit  pour y voir clair...
                  Seize heures trente. Branle-bas de combat.
           Nous passons prendre les Japonais. Ils nous attendent sur le parvis de l’hôtel, fins prêts dans leurs combinaisons futuristes en néoprène aux couleurs délirantes. Ils ont fière allure, de vrais héros de manga. A leurs pieds s’étale un équipement complet de studio hollywoodien: caissons étanches, diverses caméras et appareils photos, nombreux projecteurs et rampes d’éclairage, quantité d’accus électriques.
             D’un geste négatif Jean-Louis leur fait savoir qu’il refuse en partie cet attirail encombrant. Deux projecteurs, un jeu de batteries de secours et un seul caisson avec caméra vidéo suffiront pour les prises de vues.
        - La plongée étant profonde, elle sera de courte durée, pas question d’établir un campement. Le nécessaire, c’est déjà trop, ne risquons pas d’effrayer la faune des abysses avec tout ce cirque.
                     Ah bon ! Ça commence bien.
                   Les Nippons s’interrogent du regard, ils sont quelque peu inquiets... Mais déjà Le Chef a fait signe aux  porteurs qui s’affairent et ramènent aussitôt le surplus du matériel désigné dans l’hôtel.
                   - Messieurs, l’Aventure n’attend pas. Allons-y gaiement!
                 Les cinéastes montent dans la Renault, nous grimpons sur le pick-up. Les voitures traversent la ville et, quelques instants plus tard, nous arrivons au Club.
Une japawa de couleur orange nous attend près de la digue. Nous y chargeons le matériel de plongée et de télévision ainsi que les cinéastes. A notre tour nous nous équipons et embarquons sur la pirogue. Quittant la jetée, à notre grande surprise, Jean-Louis recommande au pilote de suivre la côte en direction du Ministère des Transports : c’est à l’inverse de ce que nous  attendions, mais nous ne soufflons mot. Il a son plan...
                En effet, après avoir navigué un moment à vitesse réduite, cherchant du regard un site favorable à la plongée, il décide de faire demi-tour. Il semble contrarié... Hé ! Ce ne doit pas être facile de dénicher un coin à cœlacanthes... et toutes ces récentes coulées de lave qui descendent du cratère volcanique jusque dans la mer se ressemblent.
                Nous effectuons un large demi-cercle et revenons sur nos pas. Il reprend son attitude de chercheur dès lors que nous croisons le point initial de départ. D’un clin d’œil malicieux, le finaud nous suggère de garder le moral... Nous doublons la digue du vieux port de Moroni et sa mosquée puis dépassons le cap où le Moustache, le pharmacien local, un jour de malchance, a scratché son avion, un magnifique “Pusch-Pull”
(19) pratiquement neuf.
               Le temps passe vite... Le soleil est bien bas lorsque nous arrivons sur la barrière de corail d’Ikoni que nous évitons en la contournant par le large. Ce faisant, nous remarquons que les  récifs émergent totalement à la surface, tant mieux: la marée basse sera étale au moment de la plongée.
             Il va bien notre Jean-Louis... Bravo ! Pas de courant et quatre à cinq  mètres de gagnés sur la profondeur, c’est appréciable. Il semblerait qu’il ait retrouvé la mitane car il mouille l’ancre sans bruit et coupe le moteur. L’embarcation oscille doucement au gré des vagues résiduelles puis s’immobilise sur place, il n’y a pas un souffle de vent.
              S’exprimant avec lenteur, in Englisch, pour bien se faire comprendre des cameramen, Jean-Louis leur désigne Monsieur Rameau - Rara - comme chef de palanquée. Il explique le déroulement de l’opération.... Ils pourront filmer à leur guise... pendant les six minutes d’autonomie du jeu d’accus. Ensuite il sera grand temps de remonter aux paliers.
                  Se tournant vers nous, il poursuit en français.
                - Nous sommes “pile” sur le site. Je dirige l’expédition pour que ce soit un succès complet, faites-moi entière confiance. Je descends le premier, deux minutes avant vous. Je me posterai au-dessus de la grotte et d’un signal lumineux je vous signalerai que c’est ok. Ensuite je resterai dissimulé durant toute la plongée. Vous devrez m’oublier, que personne ne cherche à me joindre, sous aucun prétexte. D’accord ? De plus, je souhaite que restant tous bien groupés vous visitiez un peu les alentours avec nos amis avant d’entrer dans la grotte... L’idéal serait que vous preniez deux bonnes minutes de balade afin de noyer le poisson, ajoute-t-il.
          Alors là, franchement, nous ne comprenons plus! A voir nos mines déconfites, il croit utile d’affirmer en riant:
                     - Soyez tranquilles, tout y est !
                Bon, on le croit volontiers, mais vous avouerez tout de même qu’il est plutôt bizarre ... mais c'est le chef, alors ... !
                   Le disque rougeoyant du soleil frôle maintenant l’horizon.

           C’est l’heure H. Notre fantaisiste s’immerge et disparaît à la verticale dans les flots sombres et mystérieux.
         La totalité du ciel s’obscurcit rapidement, la nuit tombe vite sous les tropiques.
                Go ! Rara et ses ouailles sont à l’eau, prêts à nous filmer. Pleins feux sur les artistes... Les projecteurs sont allumés
              Ils s'éloignent du bateau pour un recul nécessaire et nous basculons à notre tour dans une grande gerbe d’écume et l’un après l’autre nous entamons notre descente. Le puissant éclairage, projette à l’aval de nos ombres de longues raies de lumière qui nous ouvrent le chemin des profondeurs d’où surgissent d’éparses bulles scintillantes. Nous descendons en chute libre. Comme des fous, nous envahissons l’abîme.
                Moins soixante. Nous suivons le tombant du récif. Jean-Louis est là, posé sur l’encorbellement rocheux qui domine la grotte mystérieuse. D’une lampe éclairant sa main il nous signale en deux gestes : “ Tout va bien... Continuez en dessous !”
                 Mon cœur se met à battre plus rapidement...: “Du calme bon sang ! Du calme !...”. Dialogue intérieur ... attention à l’ivresse des profondeurs.
                 Dans notre sillage les autres nous rejoignent en filmant. Nous évoluons avec assurance puis nous disparaissons derrière l’immense dentelle d’une gorgone pourpre à nodules. “C’est bon ça! Joli décor ! Voyons plus bas. Vite un petit tour sous l’arche ... Maintenant on remonte un peu ... Voilà ... Encore un peu... Bon sang!  Où est cette sacrée plage de sable blanc ?”
                 Les minutes s'égrennent. “ Calmos ! ... Allez ... elle doit se trouver un peu plus loin à droite, enfin, je crois... Ouf, la voici ! ... Facile... Impossible à manquer ! ”
                   L’orifice de la grotte est là. L’arrivée du groupe active le sable corallien qui en tapisse l’entrée. D’une extrême finesse, il reste en suspension sous forme d’un brouillard laiteux qui se diffuse rapidement au-dessus du sol. La lueur blafarde de nos lampes révèle une profonde et vaste caverne enfouie dans l’amoncellement rocheux du tombant. Avec prudence nous nous engageons à travers l’orifice de l’excavation. L’intérieur  de la  salle se ramifie en plusieurs canyons.
                Derrière nous le projecteur des cinéastes donne sa pleine puissance. La caméra vidéo filme le paysage irréel que nous peuplons d’ombres fantastiques projetées sur la paroi.  
            Une clarté diffuse pénètre dans les profondeurs d’une large crevasse... quelque chose s’agite à l’intérieur !... Silhouette fugitive... Effectivement, un léger tourbillon de poussière blanche dénonce une présence récente. Il doit être là... Notre excitation est à son comble.
            Nous... nous savons exactement ce que nous devons voir, les asiatiques, eux,  l’ignorent. Ils filment candidement le relief tourmenté de la voûte. Ils n’ont rien vu. Ils suivent docilement Rara à petite distance. Celui-ci remarque tout à coup nos faisceaux lumineux qui fouillant l’obscurité  convergent maintenant en un point unique. Nos feux s’entrecroisent au fond d’un large défilé réunissant deux failles. Aussitôt l’ensemble de nos lampes se focalisent sur... sur la bête.
                  C’est invraisemblable ! C’est un cœlacanthe. Oui, oui, c’est bien lui !
                 Nous l’observons tout à loisir. Son épaisse queue charnue, immobile, est à quelques mètres de nos yeux. Nous sommes à son niveau, sur ses arrières, il ne nous voit pas. La caméra commence à le filmer. Parfait ... Lui nous ignore. Ses larges nageoires ventrales posées sur une dalle rocheuse il semble assoupi. Mais non, il s’ébroue avec indolence puis il se soulève lourdement et se dandine majestueusement sur place. Non, il ne dort pas, il est à l’affût.   
                 Quelle chance insensée!
           Le prédateur frémit, il s’apprête à attaquer. Une proie dissimulée à nos regards se trouve certainement à sa portée. Attention, il va bondir sur elle pour la dévorer. Hé non! Alors que sa queue traîne encore sur la roche, il fait mine de s’éloigner avec indolence... et puis, se ravisant, il pivote sur lui-même.  Maintenant il nous fait face et s’immobilise. Il a une telle indifférence à notre égard que l’on croirait qu’il ne nous voit pas.
                   Magnifique !
                  Habitués à l’obscurité profonde des grands fonds et bien qu’éblouis par les éclairages, ses yeux translucides nous regardent avec obstination : Quelles sont donc ces créatures qui osent ainsi troubler le territoire de ses ancestrales profondeurs?
              Une traînée sablonneuse inattendue s’écoule des roches supérieures et vient draper le poisson d’un voile scintillant fantasmagorique. Un complice, un second carnassier des temps préhistoriques serait-il dissimulé au-dessus ? Qui sait ? C’est  inouï, inimaginable ...  en réalité !
            A travers la draperie de cette blanche aurore abyssale, sans mouvement apparent, le corps massif de l’animal approche peu à peu de notre poste d’observation. Inconcevable, six mètres à peine nous séparent! Nous sommes subjugués et inquiets: il nous menace de sa gueule entrouverte où brillent de redoutables crocs courts et acérés.
              Son corps puissant s'agite sur place avec une fébrilité qui n’augure rien de bon aloi ... il bande ses muscles. Attention, l’attaque est imminente!
               Nous n’en menons pas large.
          Subitement tombant à nouveau de la voûte, un véritable déferlement de sable fin s’abat sur le monstre qui surpris, tressaille, s’ébroue et finit par s’enfuir maladroitement par une faille dans le plafond rocheux.
              Ouf !... Nous sommes sauvés !
            C’est à peine si nous avons eu le temps de le voir s'engouffrer brutalement dans une fissure propice le surplombant, que déjà il avait disparu. Fugace indice de sa fuite, un infime remous d’eau blanchâtre qui  tourbillonne dans un reflet de lumière.
           Il était grand temps... de penser à la remontée, car les minutes s’écoulent avec une rapidité extrême en de telles circonstances. Tous, nous n’avons plus qu’une hâte, c’est de regagner la surface pour évoquer l’évènement. Mais “ sécurité ” oblige et de longs paliers nous astreignent à refréner  notre ardeur. Néanmoins, nos lampes donnent encore assez d’éclairage pour que nous échangions moult sourires et gestes de satisfaction intenses.
                Une heure plus tard, nous émergeons enfin.
          Interloqués de voir à couple de notre embarcation une galawa imprévue, nous restons silencieux. Le comorien qui est à bord nous salue amicalement. Ah tiens, c’est le sympathique et célèbre pêcheur Amadi Souri, une vieille connaissance de Jean-Louis.
              Ce dernier fait d’ailleurs surface à son tour.
          - Parfait, je savais que tu saurais nous retrouver à l’heure dite Amadi ! Merci à toi l'ami,  lui dit-il.
          Puis s’adressant à nous :
         - Alors tout va bien les gars ? Qu'en dites-vous, ils ont l’air satisfaits nos Japonais! Allez, on remballe. Rentrez tous avec la japawa et rangez le matériel dans le local. Je vous rejoindrai chez Jean-Paul pour visionner les prises de vues. Moi, je rentre avec Amadi.
                Au bar, c’est l’heure conviviale des drinks et toute la communauté blanche de l’hôtel est présente lorsque le film vidéo est visionné. La foule applaudit chaudement à cet exploit exceptionnel. C’est une première mondiale car jamais  auparavant un cœlacanthe n’avait été surpris en milieu naturel. Les prises de vues sont étonnantes, certains plans gros plans de ce survivant du crétacé soulèvent l’enthousiasme général.  
                  Vous-même d’ailleurs, c’est certain, avez éprouvé ce sentiment car, souvenez-vous, la séquence a été diffusée de nombreuses fois par les chaînes de télévision du monde entier. Tout récemment encore, lors d’une soirée thématique sur la chaîne culturelle ARTE, ces images vous ont impressionné. On touche presque du doigt les origines de l’homme.
               De l’avis unanime des spectateurs, nous venons de vivre en direct un très grand  reportage.
                C’est fou ! Toute la soirée le champagne coule à flots.
                Les Japonais sont aux anges... Ils le tiennent, leur scoop.
                Dans cette ambiance démente notre Jean-Louis reste simple et modeste à souhait : - “ Chose promise, chose due ! ” proclame-t-il pour clore l’inimaginable réalité.
        Et lorsque, au bout de la nuit, si tous les acteurs de cette histoire... lourdement saturés de bulles... se sentirent bien fatigués, ce n’était certes pas d’avoir évoqué les plus extraordinaires, les plus fantastiques, voire les plus fabuleuses histoires de plongée ... Le bruit des souvenirs évolutifs évoqués mille et une fois dans ce curieux petit monde dont les individus n’ont plus les pieds touchant terre.... avait dû les griser quelque peu car chacun se laissa aller à un sommeil réparateur.
               Le lendemain, de bon matin, en vue de saluer une dernière fois avant leur départ les futurs lauréats du Grand Prix de la Télévision Nippone, nous décidons d’aller les attendre dans le grand hall de l’Ylang-Ylang .
             Aucun doute, notre délégation leur semble officielle... puisque nous sommes avec  Monsieur le Directeur de l’Établissement. Surpris et flattés par cette marque de courtoisie, ils se confondent en maintes courbettes et salutations puis souriants, comme seuls les japonais savent le faire, ils nous font de rapides adieux et nous invitent poliment mais fermement à nous asseoir. Un peu à regret nous obtempérons alors que nous nous apprêtions à les accompagner jusqu’à leur voiture. Curieux... enfin, il s’agit certainement d’une tradition propre au Pays des Mille Politesses !
            “L’Honorable Monsieur Delacroix” lui, par contre, est discrètement convié à les suivre hors du hall de réception. Après ce court aparté, Jean-Paul, revient vers nous, l’air jovial et, avec emphase il nous annonce :
          - Messieurs et Honorables Plongeurs, le champagne de l’Amitié et des Matins Clairs vous est offert par nos  illustres cinéastes. Puisse ce breuvage enchanter vos palais et consoler votre cœur de leur absence tout comme “ le petit poisson réjouit le pêcheur alors que la grosse carpe sent la vase”.     
      L’index de la main droite élevé à hauteur de sa tempe, doctoral, il nous communique ainsi l’ultime message des Fils du Soleil Levant:
         - Et pour notre Vénérable Chef Plongeur, un cadeau sans prétention, qui, nous l’espérons, ne lui sera pas trop inopportun. Que notre Inestimable Maître veuille bien pardonner à ses Humbles Serviteurs la recommandation abusive qu’ils se permettent de Lui suggérer : l’ouverture de ce modeste présent  ne doit intervenir qu’après le départ de notre limousine, exclusivement.
       A l’issue de cette péroraison, d’un geste il fait signe à deux porteurs qui déposent à nos pieds une caisse en bois, cerclée de bolduc doré. La face supérieure droite est ornée d’un bristol sur lequel nous lisons:  “Cadeau souvenir pour l’Honorable Jean Louis Géraud”.
            On ne peut plus étonné, Jean-Louis se précipite vers l’entrée. Trop tard. La voiture des "honorables cinéastes" roule déjà dans l’allée et prend de la vitesse...
 “Je n’y comprends rien” murmure-t-il, puis s’adressant à l’aimable société :
             - Eh bien, voyons, de quoi s’agit-il?
                Le coffre est vivement ouvert.
               Surprise!
           Nous y découvrons une véritable fortune : un boîtier étanche, une caméra vidéo, un lot de projecteurs et de batteries étanches. En fait nous retrouvons un ensemble Sony  complet, celui-là même avec lequel, hier soir, les cinéastes ont réalisé ce document mythique qui allait leur apporter gloire, argent... et renommée... (à ce jour, il sont encore reconnus comme les premiers preneurs d’images ayant réussi l’exploit de ramener du fin fond des mers la vision d’un cœlacanthe vivant).
                    Que dire devant un tel présent ?
              Mais... Qu'y a-t-il ? Le regard fixe, Jean-Louis semble avoir un malaise. Sans un mot, il porte sa main au visage et se voile la face. Il cherche à prendre appui sur le dossier d’un fauteuil. Mais que se passe-t-il, le voilà qui titube... il finit par se laisser glisser lourdement sur le siège.
                   - Oh ! Jean-Louis, ça va ? Tu ne va pas te trouver mal ?
                  Nous sommes inquiets. Un pesant silence accable l’assemblée.
              - Ô rage, ô désespoir, ô plongeur incompris ! N’ai-je donc tant vécu que pour cette avanie ? clame-t-il en se redressant. Il fait quelque pas et poursuit :
- Mes pareils, à maintes fois ne se font point connaître. Honte et forfaiture! Comment puis-je vous apparaître ?
              L’air farouche, il sort de sa poche un opinel grand format, l’ouvre, en  tourne la bague puis le brandit sauvagement. Brusquement il abaisse l’arme à la hauteur de son abdomen et ... dans un geste rappelant celui du samouraï déshonoré, sans doute se ravisant... il pointe lentement la lame aiguisée en direction... des cuisines de l’hôtel.
                - Suivez-moi !
               Quel comédien
(20) !
            Au pas de charge, sous le regard stupéfait de quelques touristes matinaux, nous traversons le hall à sa suite et pénétrons sans vergogne dans le domaine du Maître Queux. Il nous conduit directement vers la réserve aux chambres frigorifiques et, y parvenant, l’artiste se retourne vers nous pour nous déclarer avec tristesse :
            - Comment avoir osé commettre ainsi, aux yeux de vous tous, une telle mise en scène ? Sincèrement, je ne suis qu’un triste sire ?  Qu’allez-vous, penser de moi dorénavant?
              Les intonations goguenardes de sa voix démentent carrément le sens de ses paroles. S'approchant de la porte de l'un des frigos, dans un large sourire il en ouvre la porte et claironne:
                  - Il faut le voir pour le croire !
              Il saisit un énorme poisson qu’il nous présente à bout de bras en un geste victorieux et nous interpelle de nouveau :
                - Regardez !
                - Mais... mais, c’est Le cœlacanthe  !
              - Alors... ! Qu’en dites-vous ? Oui, oui, c’est bien le vôtre... Taille 1m60 , poids 62 kgs, et... pas plus frétillant de vie qu’hier au soir.
                Il le repose sur la table de travail.
           - Hé bien oui, je le confesse, je vous ai tous abusés. Aussi je vous dois une explication. Mais il est urgent de vider l’animal de ses entrailles car je tiens à le conserver et pour ce faire, je dois le naturaliser.
          Le geste professionnel, de son couteau tranchant comme un véritable  scalpel, il ouvre l’abdomen de la bête et commence à en extirper les viscères
(21).
                  Nous le laissons à son ouvrage et nous regagnons la salle de réception où Jean-Paul nous fait servir le champagne et de délicieux toasts au caviar. Ce petit en-cas est succulent.
                 Notre curiosité est à son comble et les suppositions vont bon train. Mais à vrai dire, réflexions faites, nous ne devrions être qu’à demi surpris. Tout au long de cette histoire, n’avez-vous pas trouvé assez bizarres les comportements successifs de notre comédien ?
                Oui, n’est-ce pas ? Eh bien ... nous de même ! Et pourtant nous avons tous marché... comme un seul homme.
                     Ah ! Le revoici. Il fait son entrée en scène.
                     Le rôle lui va à merveille : Le Repenti Victorieux.
             L’air absent, il commence par chercher son inspiration en prenant son menton au creux de sa main. Il marche à petits pas devant nous et inspecte sa flûte ou pétillent les fines bulles de champagne, puis faisant miroiter le cristal dans un rayon de soleil, il se lance :
                    “  La vérité toute simple, la voici :
“ Depuis ma tendre enfance j’ai toujours rêvé d’être marionnettiste, allez savoir pourquoi, j’adore tirer les ficelles... Je cherchais donc depuis fort longtemps l’occasion de me révéler à un public de choix, tel que le vôtre à vrai dire... Dieu me pardonne... depuis quelques jours la tentation était trop belle. L’idée de vous
surprendre m’est venue lorsque notre voisin, le pêcheur Amadi, m’a proposé à la vente un cœlacanthe qu’il venait de capturer. Pour un prix modique, mille francs cfa, je ne pouvais me refuser le plaisir de monter une petite mystification, tant j’étais persuadé que vous tomberiez dans le panneau avec bonheur.
“ J’ai donc entreposé mon achat dans un congélateur de l’ambassade, non sans avoir pris le soin de lui passer dans les ouïes et autour de la queue une série de fins mais solides et translucides fils de pêche en nylon. J’en ai relié les bouts aux quatre extrémités de deux baguettes. Je disposai dès lors d’une véritable marionnette qu’il me serait tout à fait possible de faire évoluer dans l’eau à ma guise... Il ne restait qu’à attendre le moment propice pour redonner vie de manière plausible à ma vedette préhistorique.
“ La rencontre fortuite des cameramen japonais a déclenché l’opération. Dans la nuit, après vous avoir déposés à la villa, je suis allé mettre notre héros à décongeler.
“ Dès le lendemain matin nous l’avons transporté à votre insu sur le site choisi. Resté seul au fond, , j’ai sorti le poisson de son emballage et je l’ai glissé dans une faille adéquate. Soutenu par ses filaments invisibles je l’ai

installé là où vous l’avez découvert. Pour le mettre hors d’atteinte des prédateurs je l’ai recouvert d’une cage confectionnée sommairement à l’aide du grillage ayant servi à maintenir le carton du paquet.  
“ Le soir, descendu un instant avant vous, j’ai retiré cette protection avant de prendre place sur la roche supérieure, d’où, baguettes en mains, je pouvais aisément faire évoluer à ma guise ce rescapé d’un autre âge et, tout aussi facilement le moment venu, déverser un rideau de sable fin pour clore la représentation en saupoudrant le site avec mon Tupperware passoire.
“ J’avais prévenu mon ami le pêcheur de l’opération. Il nous a suivis d’assez loin pour nous rejoindre par hasard dans l’obscurité. Bien sûr il n’était là que pour me récupérer discrètement à son bord  avec le poisson qu’il était absolument hors de question d’abandonner.
“ Avouez que c’était bien joué ! Mais tout de même, est-ce que ma supercherie méritait ce somptueux cadeau... C’est un premier prix d’illusion ? Non ? Qu’en pensez vous ? ”
Je crois que ce n’était pas une véritable question mais simplement la possibilité pour Jean-Louis d’achever son récit avec une remarque philosophique sur la fragilité du témoignage:
             - “ Vivant. Je l’ai vu, de mes yeux, vu.” conclut-il malicieusement en levant son verre.
                     Illusion ou mystification.
             Là est la question, il faut choisir... Oui mais... sans mystification... pas d’illusion...  pas de film, pas de rêve, pas de cadeau. Et naturellement pas d’histoire !
                    Buvons-nous réellement du champagne?
                    Vous-même, qu’en dites-vous? Oui, pour sûr !
                   - Alors une autre bouteille, s’il vous plait, Maestro !
               Au dehors, une brise matinale disperse les dernières brumes de la nuit. Sur la côte, les palmiers de cartes postales encadrent le bleu de la mer. La journée s’annonce bien...
               C’est bon les vacances.
              Ah, j’allais oublier !
        Si un jour vous êtes invités chez Jean-Louis, dans la chambre qu’il vous réserve, regardez donc sous votre lit. Une surprise vous y attend.
            C’est là, en ce paisible lieu d’ombre et de repos que je l’ai retrouvé, deux ans plus tard. Sans conteste, c’est la cachette préférée de cette vieille carcasse tannée par le soleil des Comores, qu’est devenu, au fil du temps, notre sacré
Tonton Cœlacanthe ”, comme disait l'ami Marcel ! (22)                      
                                   
                                    

                                       
Nota : Il est bon de le préciser ici que, quelques années plus tard, Jean-Louis GÉRAUD a réussi, dans la nuit du 17 juillet 1987, à filmer sur le tombant du village d'Ikoni et pour la première fois au monde, un cœlacanthe réellement vivant. La visualisation de ce film a enthousiasmé le monde scientifique qui reconnaît à ce cinéaste amateur la paternité du premier film tourné en milieu naturel sur ce poisson primitif que les Comoriens appellent " gombessa".

 


(1) Sultan Ali Soilih. 1937 - 1978.  Ingénieur agronome, ancien ministre du Sultan, le Prince Saïd Ibrahim. Puis dictateur de 1975 jusqu’à sa mort en 1978.

(2) Ahmed Abdallah Abderamane. 1919 - 1989. Affairiste avisé il devint le premier chef d’Etat des Comores en 1950. Destitué en 75, ramené au pouvoir en 78, abattu dans son palais de Moroni en 89 au cours de circonstances non élucidées, il laisse à ses héritiers une des plus grosses fortunes de l’Océan Indien, dont une splendide propriété sur les hauteurs de Nice d’où il arrivait d’ailleurs ce jour là.

(3) Fédération Française d’Études et de Sports sous Marins. L’affiliation était assurée via l’entremise du Centre Subaquatique Orléanais dont Rara (Jean-Pierre Rameau) était président.

(4) Ancien nom de l’Archipel à l’époque de la conquête arabe, vers le huitième siècle de notre ère.

(5) Kartala ou Karthala, 2361 mètres. Volcan actif, point culminant de l’Archipel.


(6) Destin peu ordinaire que celui de Lulu Picollier: Commis maréchal ferrant chez son père avant la guerre de 39/45, mobilisé dans l’infanterie, après la débâcle et Dunkerque il se retrouva mécano dans l’US Air Force où il apprit à piloter les forteresses volantes.... avant de faire carrière de pilote chez Air France.
 
(7) Dans la moiteur de la nuit tropicale, la végétation est pratiquement spontanée et il est fréquent qu’en une heure un épais tapis de champignons gluants recouvre quelques mètres carrés de route bitumée.                   

(8) Remarquez la prononciation de sonorité “nord africaine”. Les comoriens parlent tous le français mais il était amusant de constater le vocabulaire et les différents accents typiquement belge, arabe, pied noir  ou canadien pratiqués par certains jeunes de la population : la présence des Français fut un temps indésirable au pouvoir et à cette époque des enseignants de différentes nationalités, mais de langue française, ont été recrutés pour l’éducation des élèves .

(9) “Akouna matata” : “pas de problème” !  Il va de soi que les champignons poussant dans l’obscurité de la nuit, “l’électricité” éclairant la voie, ils ne pousseraient plus. Il suffisait d’y penser !

(10) Gombessa ou Kombessa, est le nom comorien du cœlacanthe.

(11) Marcel Isy-Schwart, champion du monde de chasse sous-marine en 1951, cinéaste, écrivain et conférencier, avait été retenu au paravent en Afrique du Sud par des questions d’intendance. Son séjour dans l’île se trouvait écourté car il devait repartir impérativement dès le lendemain.

(12) Baptisé du nom de l’arbre tropical l’ylang-ylang dont la fleur est utilisée comme  fixateur en parfumerie.

(13) J.P. Lahouët, mécanicien “Air France” détaché à “Air Comores” pour l’entretien courant du seul et unique appareil de la Compagnie, un ancestral Fokker 27 destiné à desservir les différentes îles de l’Archipel.

(14) De “JAP” (japonais). Nom donné par analogie avec “galawa” le nom traditionnel des pirogues à balanciers comoriennes.

(15) La “mitane” est une petite bouée de repérage utilisée par les plongeurs pour marquer un site en mer au large de la côte. Lorsque la mitane est jetée à l’eau le flotteur laisse se dérouler jusqu’au fond une cordelette lestée .

(16) La “Fenzy”, était une collerette gonflable (de couleur orangée) portant le nom de son  inventeur, un ingénieur d’origine roumaine travaillant en France pour la Marine Nationale. Elle servait de bouée d’équilibrage et de parachute ascensionnel lors des remontées de plongées profondes. Elle a été supplantée par le “gilet stabilisateur” ou “jackette” et n’est plus utilisée que par les nostalgiques” des temps héroïques de la plongée sous marine.  

(17) La ville de Moroni venait de se doter d’un marché couvert bétonné dont la construction a été offerte par la Société des Ciments Lafarge.

(18) Latimer + Chalumna = Latiméria-Chalumnae, nom scientifique du cœlacanthe.

(19) Il s’agissait d’un Cessna 2OO équipé de deux moteurs à hélices, une qui tire, l’autre qui pousse.

(20) A l’époque ou se déroule cette histoire, Géraud mettait en scène à l’Alliance Française de Moroni, “Le Cid”, l’illustre pièce de Corneille, qu’il interprétait avec une troupe de comédiens amateurs .

(21) A noter qu’il s’agissait malencontreusement d’un cœlacanthe femelle. Toutefois la quinzaine d’œufs de la grosseur d’une mandarine ont été adressés aux professeurs Milot et Anthony au Muséum de Paris pour étude. L’animal est ovivipare, les petits éclosent à l’abri du corps maternel après un an de gestation et, dès leur naissance, alors qu'ils mesurent déjà quarante centimètres, ils commencent aussitôt à ramper sur les fonds à la recherche de proies à se mettre sous la dent.  

(22) Marcel DESGOULANGES. Voir l'article n° 566 "Marcel le Méconnu".
 

MORONI

La Grande Mosquée et le Port à marée basse.

0017-MORONI-Mosquee.jpg

 

Un Cœlacanthe fossilisé

(photo versée au domaine public par son auteur)

0078-Coelacanthe-fossilise.jpg

 

 

  Le Cœlacanthe frais, vous connaissez ?

0079-Michel-et-Coelancanthe-Comores.jpg

 

C'est le jour de sa fête ...

(Photo des archives personnelles de Jean-Paul DELACROIX)

0085-Le-Coelacanthe-des-Comores.jpg

 

 
   Le même, deux ans plus tard.
3541-Michel-Coelacanthe-2-ans.jpg  

Cœlacanthe naturalisé

du Musée Océanographique de Monaco.
8222 Cœlacanthe Monaco

 

La tête du Cœlacanthe

(Détail du spécimen présenté en Corrèze au Musée de Sarran).

6618-Tete-coelacanthe-Sarran.jpg

 

Le Cœlacanthe

offert au président Jacques CHIRAC exposé au Musée de Sarran.

6621-Coelacanthe-Musee-Chirac.jpg

 

Ce récit est la relation d'une histoire survenue il y a plus de trente ans.

Depuis cette époque, grâce aux progrès techniques, il a été possible de filmer

des cœlacanthes dans les profondeurs de 200 à 300 m non atteintes par le plongeur lambda.

Actuellement on estime que les cœlacanthes qui vivent dans les eaux côtières des Comores,

sont en voie de disparition, ne formant qu'une population restreinte à environ 300 individus.

Toutefois durant l'année 1998 en Indonésie un pêcheur a capturé un cœlacanthe

par deux cents mètres de fond et a renouvelé cet exploit en 2007.

Ce dernier a survécu 17 heures dans un enclos aménagé sur la plage

où il a été filmé par les scientifiques qui en déduisent que la Mer des Célèbes

abriterait également plusieurs colonies de ces poissons d'un autre âge.

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23 novembre 2011 3 23 /11 /novembre /2011 00:21


 La destinée peu banale

d’un chalutier prénommé 

L’IDÉAL



             “ L’IDÉAL ” a été construit en 1939 par les Chantiers Maritimes des Sables d’Olonne. Il était, en son temps, ce qu'il est convenu d'appeler un "beau bateau".
             Ce chalutier en bois d'une longueur de 18m80  était destiné à la pêche côtière, toutefois, le dimanche 3 septembre 1939, triste jour de la déclaration de guerre avec l’Allemagne ce qui engendra immédiatement la mobilisation de tous hommes jeunes, y compris les marins-pêcheurs professionnels, “ L’IDÉAL ” fut aussitôt réquisitionné par le Service des Postes et Téléphones pour une utilisation décrétée “affectation spéciale ”.
             De ce fait, et pendant toute la durée du conflit, le navire fût affecté au transport du Courrier Postal. Sa mission était d’assumer de façon régulière la desserte entre le continent et les différentes îles de la côte atlantique française. Dans ce but, il avait été tout spécialement transformé et réaménagé en vue de garantir au mieux la constance et la sécurité du convoyage postal.
            Solidement conçu, bien motorisé avec un Baudouin - roi des moteurs - de 90 cv qui lui octroyait une vitesse de croisière légèrement supérieure à dix nœuds, il accomplissait chaque semaine, vaille que vaille, mais avec la régularité d’un métronome, la rude tâche, le parcours de Brest à Royan et retour, soit environ six cents miles nautiques, quelques soient les conditions atmosphériques et l’état de la mer.
            Son activité de "courrier" se prolongea encore un certain temps après la guerre. Mais le décret du 10 mai 1946 en créant une Administration plus moderne sous la gouverne de la toute nouvelle "Direction Générale des Postes", mit un point final à sa carrière postale .
           Les tensions guerrières apaisées, à la fin de la décennie des années 40, un ancien officier Allemand de l’Afrika-Korps, prisonnier de guerre libéré et installé en Californie, s’en porte acquéreur auprès du Service français des Domaines. Toujours en état de naviguer il convoie “L’IDÉAL” de Bretagne en Tunisie via le Détroit de Gibraltar. Aux chantiers de Bizerte, il procède aux transformations adéquates et aux aménagements techniques indispensables pour transformer le chalutier en une solide base navale de plongée.
           À la suite de ces rénovations le nouveau propriétaire, avec l'aide d’anciens compagnons d’armes, s’active à rechercher le  légendaire trésor de Rommel. À partir de cette base de plongée flottante et mobile il prospecte un peu au hasard en Mer Méditerranée. Après plusieurs années de campagnes pénibles et onéreuses, tant sur les côtes d’Afrique du Nord que sur celles de l’Île de Beauté, apparemment sans résultat tangible, l’aventurier décide d’arrêter les frais et dans la foulée il se sépare du rafiot bien fatigué.
          C'est alors qu'un riche acquéreur américain se fait connaître. Il s’agit de l’un des patrons de la célèbre firme cinématographique hollywoodienne : la Métro-Goldwyn-Mayeur qui s’en porte acquéreur. “L’IDÉAL”  est alors rapatrié en France, à La Ciotat, où après une remise à neuf  il se taille un vif succès à Cannes lors du renommé Festival Cinématographique.
         À partir de 1953 (année qui voit la consécration de films tels que “ Le Salaire de la peur “ avec Yves Montand et Charles Vanel tout comme le magnifique “ O Cangaceiro ” à l'époque l’un des rares succès brésiliens de renommée mondiale) il est mouillé en permanence au quai d’honneur de La Croisette parmi les yatchs de milliardaires. Il est reconverti en un “bar américain” incontournable :  Fréquenté en permanence par les journalistes, le “Bar Nautique” des pins-up est une unité publicitaire pour le moins originale. Lors de courtes mais nombreuses réceptions privées on y voit parader les vedettes et toutes les personnalités marquantes du cinéma international.
          Et en premier lieu, son hôte d’honneur, le Lion “Tanner”, un magnifique fauve à crinière. Vous connaissez sa célèbre tête rugissante qui apparaît avant le générique de chacun des films de la MGM.  Au grand plaisir des badauds, ce Lion trône en effet sur le rouf arrière du navire lorsque le bar est fermé : il en est devenu le cerbère.
         Au firmament des stars, c’est bien connu, les “ gags” ne brillent qu’un moment, aussi, quelques années plus tard avant que le “décor” ne fasse plus recette, le bâtiment est cédé à un industriel lorrain, “cristallier” à Baccarat. Ce dernier arme de nouveau le chalutier pour la plongée et navigue dans les criques du sud de l’Italie puis sur les côtes de la Sicile. De nouvelles informations semblent le guider, lui aussi, dans ses laborieuses recherches sous-marines en vue de retrouver le trésor de guerre des nazis !
          Malade, il doit interrompre son activité et le bateau est rapatrié dans les Alpes Maritimes au mouillage dans un petit port de l’Esterel, entre Théoule et Mandelieu-La Napoule. Il y restera un long moment.
         Bien longtemps après le décès de son propriétaire, en conclusion d’une succession difficile, “L’IDÉAL” est finalement repris à un prix modique par deux amis plongeurs : Jean-Pierre Gonzalez, un “pied-noir” rapatrié de Oujda au Maroc et Michel Selesniew un “terrien” du Gâtinais travaillant à Montargis dans le Loiret.
         Ces derniers avaient repéré l’épave abandonné à quai et à demie-immergée dans le petit port de La Rague. Pour eux, c'était l'idéal, le mot n'est pas trop fort . Ils recherchaient depuis plusieurs mois un bon bateau pas cher en vue d’exploiter une École de Plongée à Saint-Tropez sous l'égide de la Fédération Française d'Études et de Sports Sous-Marins (FFESSM). Il ne leur manquait que le principal, un navire pour aller en mer et faire fonctionner le “Club Mer et Plongée” qu’ils venaient de créer et auquel  vint s’adjoindre, pour un temps, un troisième et sympathique copain, garagiste parisien de Pontoise, Charles Hinaux.
         Le bâtiment est renfloué, car faute à un manque évident d’entretien, il reposait sur le fond du port ... avec un mètre d’eau dans les cales. Une fois consolidé et repeint sommairement sur place afin de cacher sa misère (il fallait  faire bonne figure pour l’arrivée dans la Cité du Bailli), il est ramené à son nouveau port d’attache et mis en cale sèche dès les premiers beaux jours du printemps 1973 .
         Entièrement rénové et repeint de fond en comble aux couleurs du Club " blanc et bleu ",  il est équipé à neuf de tout le matériel de plongée nécessaire à trente plongeurs et ce avec la concours de Monsieur Dandine, importateur exclusif de la marque américaine “ Scubapro . Notre vaisseau prend place dans le Vieux Port de Saint-Tropez au coté des “ pointus ” de pêche entre “ Le Bourru ” du journaliste “ Michou ” et le yatch de course, " l’Hélisara ", du chef d’orchestre Herbert Von Karajan.
          Amarré ainsi au quai promenade du Môle Jean Reveille, il attire la curiosité des passants par sa structure particulière qui le distingue de tous ses voisins.
        De plus, un panneau publicitaire annonce la création de le première véritable école de plongée de la région. À cette époque elle se trouve en effet être l'un des rares établissement bien structuré à être pour la saison à la disposition permanente des touristes désireux de se laisser séduire par l'aventure sous-marine (la plus proche base équivalente se trouvant à St Raphaël à bord du “Renardeau” le voilier du “Club sous l’Eau”  tenu par Claude Luquin, ancien militaire, pilote d’hélicoptère).
            Par le biais de ses activités " L'IDÉAL " retrouve en partie la fréquentation des stars comme au temps de ses riches heures cannoises :
         Monsieur 100 000 volts, le chanteur dynamique Gilbert Bécaud, un passionné de plongée, qui réquisitionne le bateau et son équipage à la journée : il assure ainsi sa tranquillité et celle de son fils Gaïa; le fréquentent des chanteurs sociables comme le célèbre Enrico Macias, la blonde Joëlle Morgensen du groupe "Il était une fois " et Dave le créateur du tube " Vanina "; l'ancien acteur devenu peintre Nicolas Charrier (ex-époux de Brigitte Bardot) y accompagne leur fils Nicolas pour son initiation à cette nouvelle discipline. Les cascadeurs Alain Prieur, Frank Valverde, Jean-Paul Chirouze et le plus célèbre d'entre tous, le sympathique Rémy Julienne, viennent à bord pour plonger afin de tester en milieu agressif certaines normes de sécurité qu'ils se doivent de respecter lors de leurs actions subaquatiques. Des personnages originaux comme l'acrobate " Coin-Coin ", le légendaire judoka champion du monde Anton Geesink, ou des personnages comme l'acteur Mario David, le chef d'orchestre Herbert Von Karajan, la speakerine Jacqueline Huet, Raymond Marcillac, Eddy Barclay, le journaliste "Michou", Gérard Blitz et Anne Wagner du Club Med.
            En un mot le "Tout St-Trop " vient plonger ou tout au moins boire un pot à bord où règne une ambiance sympathique. J'allais oublier une charmante gamine, Marine Jacquemin qui par la suite allait devenir “grand reporter” à la télévision française. Et le mythique Jacques Mayol - le premier plongeur a être descendu en apnée à une profondeur de 100 mètres, exploit réalisé en Novembre 1976 dans les eaux de l'île d'Elbe .
         Ceci n'étant qu'une bonne publicité de prestige, l'école de plongée n'ouvrait ses portes à la clientèle sportive que seulement sept mois de l’année. Cette période dura une décade complète ... jusqu'en 1983.
      C’est à cette époque que “L’IDÉAL” est repris par deux sympathiques plongeurs lyonnais, Claude Gavory et Charles Battisti qui changent la raison sociale du Club lequel devient à juste titre “Les Plongeurs du Golfe”. Toutefois, l’un des précédents fondateurs de l’école, Michel Selesniew, dit “ Papycousteau “ les accompagne dans cette nouvelle aventure. (Il était prévu que ce dernier devait rester quinze jours pour transmettre le flambeau, en fait, il y resta dix ans).
        Un franc succès couronne les efforts de cette équipe. Le Club se fait un renom bien mérité dans le monde de la plongée et affiche carrément complet à longueur d’année. Devant cette réussite manifeste, certaines inimitiés ne tardent pas à se faire ressentir à l’égards de ces “estrangers ” et de leur bateau.
          L’accès au môle Jean Reveille leur est interdit : Ils sont invités à céder leur emplacement privilégié de mouillage au Vieux Port à un magnifique voilier, propriété d'un industriel milliardaire français. En remplacement, un anneau leur est attribué au Nouveau Port, en sortie de ville, sur l’aire du parking payant.
      Puis, bizarrement, trois saisons plus tard, suite à d’obscures raisons administratives et autres manœuvres, le permis de naviguer du vieux chalutier est définitivement abrogé en dépit de longues négociations.
          Officiellement le bateau est atteint par la limite d’âge.
          De ce fait, en 1986, sous la surveillance des Autorités Maritimes, “L’IDÉAL” est sabordé avec les honneurs par ses propriétaires, non loin du port, au large de la Baie des Canoubiers où il repose par 30 mètres de fond.

         Mais l’Histoire est un perpétuel recommencement ... et celle-ci n’échappe pas à la règle.
        Un chalutier de Toulon se présente à point nommé : son propriétaire, un patron-pêcheur âgé qui pratiquait la pêche de nuit au lamparo, voyant son activité traditionnelle sur le point d’être interdite en France, propose “LA MARISE” à la vente.
         Aussitôt, sous le nom mérité de  “L’IDÉAL II ” il devient le successeur de son frère : il est tout à fait inattendu de constater qu’il s’agit d’un bâtiment construit par le même chantier que son prédécesseur, sur des plans similaires et de plus qu’il date de la même année ... 1939 ! Une heureuse et fortuite similitude existe donc entre les deux navires à tel point que, même parmi les anciens plongeurs, nombre d’entre eux ne remarquent pas les petites différences dues au remplacement du bateau qu’ils fréquentaient précédemment.
        En 1993 le Club et “L’IDÉAL II” sont repris par Jean Burgos qui, deux saisons plus tard, recède le tout à un trop jeune moniteur tropézien.
         Novice en la matière ce dernier abandonne la fonction et se débarrasse très rapidement du fardeau en revendant le bateau à un particulier lambda ...
            Malheureusement l’acquéreur, bien évidemment, ne peut conserver à son acquisition le qualificatif de “navire école”.  Aussi, dès le jour de l’enregistrement de la vente  il se voit assigné la qualité de propriétaire d’un quelconque “navire de plaisance ”. Il découle de cette modification une substantielle augmentation du prix locatif de la taxe portuaire. C’est un luxe que ne peut s’offrir l’individu : il doit abandonner illico la place qu’il envisageait de conserver. Sous la pression constante des Autorités Portuaires, il prend la décision précipitée d’effectuer en urgence un mouillage sauvage dans le golfe, à l’entrée de la Baie des Canoubiers.
            Par malchance, quelques jours plus tard, un puissant vent d’Est se lève et la mer se forme.  Les amarres ou le mouillage ne résistent pas... Le navire dérive. La forte houle le drosse aux récifs de la côte en quelques minutes. Sous les yeux des riverains impuissants, il s’y disloque et coule rapidement

              

                          “ L’IDÉAL ”  n'est plus qu’une légende...                             


 Tanner
le célèbre lion rugissant.

-Tanner--Le-lion-MGM-.jpg

 

 

 



Le chalutier " L'IDÉAL " en Mars 1973
vient d’arriver à quai dans le port Saint-Tropez.

L-IDEAL-Mars-1973.jpg


 

 

 


" L’IDÉAL "  à Saint-Tropez en Juin 1973.
 Entièrement rénové,
il tient fièrement sa place entre
"Le Bourru" à gauche et
"l’Hélisara" à droite.

0020-L-IDEAL-Juin-1973.jpg

 

 

 

 

 

Jacques MAYOL (1927-2001) ,

de retour dans le port de Saint-Tropez

après une plongée avec l'équipage de " L'IDÉAL " en 1980

0011-Jacques-MAYOL-1980-L-Ideal--.jpg


“ L'IDÉAL ”

de toutes les Écoles de Plongée Françaises du littoral méditerranéen,

est vraisemblablement, le bateau qui,

fréquenté pendant 13 années par des plongeurs de toutes nationalités,

a le plus marqué leurs mémoires

du fait de son historique surprenante mais surtout parce que

ce navire a été l’inventeur de l'épave mythique du sous-marin

“ RUBIS ”

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29 août 2011 1 29 /08 /août /2011 23:59


MARCEL   DESGOULANGES


“ LE  MÉCONNU ”


ET  LA PETITE HISTOIRE  DE LA  PLONGÉE

 

                                                        Connaître, ce n'est point démontrer, ni expliquer.

                                                               C'est accéder à la vision. Mais pour voir,

                                                                          il convient d'abord de participer.

                                                                                            Antoine de SAINT-ÉXUPERY

(Pilote de guerre)

                                                 

                                                                                                                                                                 
          Lorsque, au tout début des années soixante-dix, je fus contaminé par ce sacré virus de la Plongée, mes seules références en la matière étaient, d'une part, un distingué bonnet rouge en laine, cet inoubliable couvre-chef que le Commandant Cousteau arborait dans Le Monde du Silence - film mythique de Louis Malle couronné par la Palme d'Or au Festival de Cannes en 1956 - et  d'autre part, les célèbres et légendaires Hommes Grenouilles de Paris.
           Ah !... les " Hommes Grenouilles ”...
          Je puis vous affirmer que, deux fois par jour, pendant près de cinq années je les ai vraiment côtoyés. Le mot n'est pas trop fort .

         À Paris, à proximité du Pont de Bercy, la péniche de la Sogetram (1), leur refuge, étant amarrée au quai de Seine, attirait l’attention des badauds : Entre deux mâts, des théories de vestes et pantalons en caoutchouc noir des plongeurs, renforcés aux coutures d'une bande de tissu couleur jaune-fluo, flottaient à longueur de journée au gré du vent. Cet alignement, oscillant au-dessus d'une batterie de bouteilles de plongée, peintes de couleur ocre, tranchaient carrément sur le décor bucolique des bords du fleuve.

         Je passais devant ces merveilles matin et soir pour me rendre à mon travail dans les bas-fonds de Bercy. Combien de fois me suis-je arrêté pour observer ces hommes hors du commun, vivants loin de ma banalité journalière ?. Je les voyais, rire et discuter entre eux à deux pas de moi ? Je les admirais du coin de l’œil, sourire aux lèvres et prêt à engager la conversation sur un moindre signe. J’avais le fol espoir qu’un jour ils me remarqueraient et m’adresseraient la parole. En vain ! Mais que voulez-vous, je ne puis le leur reprocher, ils n’avaient aucune raison de m’interpeller.
          Ainsi, sans jamais oser leur demander tout ce que j’aurais tant aimé connaître de leur fantastique vie aventureuse et subaquatique, j’ai laissé courir le temps... comme un idiot.
                  J’étais alors réellement si discret, que cette situation aurait eu tout loisir  de perdurer indéfiniment si un incident peu banal n'était intervenu sur les lieux même de mon emploi où j'excerçais laborieusement mais consciencieusement mes fonctions officielles de cheminot. Timide gratte-papier ferroviaire aux Entrepôts SNCF de Bercy, ainsi que je viens de l’évoquer, je m’en suis tenu, lors de cette occasion unique, à représenter dignement la vénérable institution nationale de transports qui m’exploitait depuis déjà plus de dix ans.
                  A l’époque, en gare de Bercy-Conflans, j’étais censé résoudre avec toute la célérité nécessaire, et bien entendu sans faire de vagues, les litiges et toutes difficultés pouvant survenir lors de la mise à disposition à la clientèle des wagons en vue du déchargement des containers de fruits, légumes et autres citernes de vin.  J’étais donc présent et à totalement aux ordres de la clientèle à seule fin de résoudre les difficultés chaque fois qu’un problème se révélerait lors de ces différentes opérations.
           Ce fut une journée marquante dans ce qu'il convient de qualifier une vie ordinaire. Il est vrai que ce jour-là j'ai eu affaire à fortes parties : d’un côté, une équipe de Surhommes, les bienvenus, avec leurs bouteilles d'air comprimé, et de l'autre, le réceptionnaire un nommé Machepreau, négociant en vins installé Cours Sautrot à Vincennes, fort connu sur la place pour son originalité grinçante. Au cours de la formation en gare de Sète d’un convoi pinardier, ce personnage prétendait avoir malencontreusement laissé choir son précieux trousseau de clés dans l’un de ces immenses foudres dont il avait lui-même ensuite fermé et plombé l'ouverture après les démarches douanières et de régie. Il me réclamait, avec acrimonie, la restitution immédiate et sans délai de son bien comme si j’avais été le responsable de sa maladresse. Il est vrai qu'il devait, en principe, m'apporter la preuve qu'il était bien habilité à cette réception mais sa justification étant en sûreté au fin fond de son coffre-fort dont la clé faisant partie intégrante dudit trousseau... il était furibart.
        Dans l’intention de lui rendre service, j’avais suggéré à ce client difficile de faire appel à de vrais professionnels “de ma connaissance” en vue de récupérer son bien au plus vite, d'où la présence des plongeurs.
               Malheureusement l’affaire s’était très rapidement compliquée.                                              Sur le quai de déchargement, au pied des citernes, lors de la séance d’habillage de mes héros , une fumeuse histoire de décomposition (?) fut évoquée de façon très désagréable par mon irascible caviste réputé par ailleurs pour avoir été le créateur du fameux “ Velours de Bercy ”, vin rouge de table bien connu des classes laborieuses . Il supputait une immédiate putréfaction des vêtements en néoprène caoutchouté au contact de son précieux liquide, ce qui risquait, bien évidemment, d’en altérer le goût exquis. Avec une véhémence et une impétuosité peu communes il exigeait désagréablement que "mes" plongeurs plongeassent nus !...
            Mais je m'égare ... car il s'agit là d'une autre histoire, merveilleusement contée d’ailleurs, en son temps, par notre célèbre humoriste, le regretté Francis Blanche.
           Je reviens donc à notre sujet : En un mot comme en cent, c’est vrai, j’ignorais tout de la Plongée et de ses annales. À ma grande honte, j’avoue clairement que le nom remarquable de Marcel DESGOULANGES m’était totalement inconnu. De ce fait, il n’évoquait absolument rien pour moi !
         Hélas, le plus navrant, à mon sens, ce n’est pas tant mon ignorance personnelle, mais plutôt la réalité habituelle: ô France ingrate, pourquoi as-tu laissé par négligence disparaître dans le monde de l’oubli ce personnage hors du commun ?
         Effectivement, vous pouvez toujours chercher dans les dictionnaires Larousse, compulser les volumes du Robert, vous enquérir auprès de l’Encyclopaedia Universalis... voire interroger Wikipédia... Rien...! Absolument rien ! Vous ne trouverez effectivement aucune rubrique concernant Marcel Desgoulanges. Je vous le dis... je vous le répète, littérairement, l’homme n’existe pas !
           Cependant je demeure confiant en mon action présente. Je crois en la possibilité de déclencher par ces écrits une ultime prise de conscience de nos Immortels afin que le Grand Dictionnaire de l’Académie Française répare enfin cette injustice.
                  Commençons donc par le commencement !

                 Dans le merveilleux grenier de ma grand-mère j’ai retrouvé il y a quelques années un exemplaire de L’Illustration en date du 27 Novembre 1875 sur lequel une gravure reproduisait la fameuse lampe étanche inventée par Monsieur Louis Denayrouze (2). Vous savez, cet éclairage qu’utilisaient volontiers les pêcheurs marseillais sur leurs pointus, les nuits sombres, pour stimuler la curiosité des poissons et les capturer plus facilement dans leurs filets.
            Génial, ce petit Denayrouze, tout comme ses frères aînés d’ailleurs - Auguste et Henri. Mais si... voyons! “Rouquayrol et Denayrouze” ça vous dit bien quelque chose ? Hé ben oui... les inventeurs du détendeur pour volumes gazeux ! Allez, un peu d'histoire !
                  Le 14 avril 1860, Benoît Rouquayrol (3), Ingénieur aux Houillères de Firmi, près de Decazeville (Aveyron), dépose un brevet  dont  le  titre était ainsi libellé “Régulateur destiné à régulariser l’écoulement des gaz comprimés”. En fait, il s’agissait du concept d’un appareil respiratoire pour le sauvetage des hommes en difficulté dans les galeries et puits miniers. Individuel et portable, l’engin était utilisable dans l’air comme dans l’eau. 
                 En 1862 il complète cette invention par un second brevet qui définissait “un appareil servant à procurer de l’air pur aux ouvriers travaillant dans une atmosphère délétère”. L’isoleur Rouquayrol était né: à son régulateur était adjoint un simple tuyau souple caoutchouté nommé “masque de respiration” ou encore “ferme-bouche” que le sauveteur tenait entre ses dents pour une respiration buccale. Troisième brevet en 1863: la “pompe soufflante” qui fournissait de l’air à la demande.
               Vous me suivez ? Tout va bien ! ... L’année suivante sera déterminante pour faciliter la pénétration des hommes sous la mer.
               Un jeune lieutenant de vaisseau de la marine impériale, qui se trouve mis en disponibilité début 1864, Auguste Denayrouze (4), parent par alliance avec notre inventeur, est enthousiasmé par la réalisation  effective de ces différents brevets. Il lui propose une association pour la mise au point et la fabrication d’un matériel pouvant servir à la réalisation de travaux sous-marins. Un bailleur de fonds, Camille Marcilhacy, les aide dans leur entreprise et c’est l’invention du scaphandre (5). Celui-ci reste néanmoins tributaire de la “pompe à air à balancier” actionnée manuellement.  Mais... toujours en 1864, l’invention est perfectionnée. Libérée de sa pompe et munie d’un second régulateur, elle permet au plongeur d’emporter sa réserve d’air sur le dos : C’est la naissance du scaphandre autonome (6).
               Toutefois cet appareil ne donne pas entière satisfaction car le plongeur était soit nu et dépendait de la température ambiante, soit caoutchouté et encombré dans un vêtement des plus contraignants.
                   A la demande du Ministère de la Marine, en début 1873 Auguste présente un scaphandre à casque en cuivre avec lampe d’éclairage “air/pétrole”(brevet de Louis 1872), équipé d’un cornet acoustique, de chaussures à semelles de plomb et d’un vêtement sec : le pied lourd était né. Il continuait à être alimenté en air par une pompe manuelle devenue rotative et à volant (celle-là même qui maintient le suspens dans les vieux films américains d’aventures mémorables en Technicolor tels que “Le Réveil de la Sorcière Rouge” ou “La Perle Noire”). Ainsi l’on pouvait descendre et travailler jusqu’à une profondeur de cinquante mètres. Un record pour l’époque (7) ! 

        C’est la consécration ! Leur société, fort bien menée par Henri Denayrouze (8), rafle tous les marchés, aussi bien en France sur les chantiers portuaires, qu’au Proche-Orient pour la pêche des éponges. Leurs principaux concurrents sont éliminés : En particulier l’anglais Sièbe (9)  qui, entre 1819 et 1840, était passé de la cloche  individuelle au tout premier  scaphandre à casque et surtout leur rival français, commerçant redoutable, Joseph-Martin Cabirol. Ce dernier est bordelais, chapelier de son état, créateur en 1842 du fameux “chapeau à air”. Dès l’année 1855, copiant, modifiant et diffusant le modèle fabriqué par Sièbe , il avait réussi à s’imposer auprès d'Administrations telles que la Marine Nationale, la Marine de Commerce, les Ponts et Chaussées).
                       Le temps passe... Fortune faite, Louis Denayrouze (10) meurt alors que l’inondation de Paris en février 1910 consacre son procédé d’éclairage public. De nombreux lampadaires individuels fonctionnant au "lusol", gaz de benzine impure, extraite du goudron de houille, équipent les rues de la ville et continuent de briller alors que le réseau électrique souterrain est mis hors de service par la crue de la Seine. “Seul, lusol seul, luit la nuit” disait la réclame.
                 En 1895, la fabrication et la clientèle ont été cédées à Charles Petit. Le gendre de ce dernier, René Piel prend sa suite en 1920 et son fils Bernard lui succède de 1944 à 1965, année depuis laquelle les Établissements Piel se consacrent uniquement à l’entretien du matériel et la confection de vêtements de plongée (11).
            Léger retour en arrière s’il vous plaît, car la date du 14 Août 1926 est mémorable et toute la presse s’en fait l’écho. Ce jour-là, dans la Piscine des Tourelles, devant le Tout Paris, le Capitaine de Corvette Yves Le Prieur (12) reste immergé sous deux mètres d’eau pendant une dizaine de minutes.  Il réussit cet “exploit” grâce à un scaphandre autonome de sa fabrication. Sa particularité en était l’adduction d’un mano-détendeur adapté à une bouteille Michelin destinée en fait à regonfler les pneus de sa voiture. Il pense sincèrement être le premier plongeur libre et tout le monde le croit : en effet, depuis près de cinquante ans, la Marine Française n’utilise que des scaphandres de type  “pied lourd”, l’ingénieuse invention du 19ème siècle ayant été complètement oubliée.
                En 1934, Le Prieur dépose enfin le brevet de son dispositif amélioré par un masque total de respiration. Il en fait la démonstration devant un public enthousiaste à cinq mètres de profondeur, dans l’aquarium du Trocadéro. Continuant ses recherches afin de trouver un débiteur d’air automatique à pression convenable, il crée en 1935 la première association de plongeurs amateurs qu’il surnomme “Le Club des Sous-l’Eau” avec les “Mousquemers”, Philippe Tailliez,  Frédéric  Dumas et Jacques-Yves Cousteau.
                En 1938 Maxime Forjot s’impose en proposant un masque de caoutchouc muni d’une vitre et qui recouvre le nez et les yeux.
                 Habile négociateur, le Lieutenant de Vaisseau Jean-Yves Cousteau s’associe en 1942 à l’ingénieur Emile Gagnan, le spécialiste des gaz industriels à l’Air Liquide. Fort à propos, cet inventeur vient de mettre au point, un détendeur basé sur le principe du bon vieux “régulateur Rouquayrol”, permettant ainsi à de rares automobiles de rouler au gaz de ville durant ces années difficiles. En 1943 Gagnan conçoit et construit, sur le désir de son associét, le premier appareil de plongée autonome. C'est grâce à ce détendeur à air que Cousteau réalise avec Frédéric Dumas le premier film subaquatique “Épaves”. En 1944 le besoin d’une réserve d’air comprimé plus importante devient indispensable et le bi-bouteille vient compléter la panoplie de l’équipement “Cousteau-Gagnan”... sans aucun mauvais jeu de mots!
                     Tout est prêt pour la Grande Aventure.
             Ah ! J’allais oublier, les palmes créées en 1936 par un autre marin, le Capitaine de Corvette Louis De Corlieu sur une idée de Léonard de Vinci, puis en 1939 apparaît le tuba imaginé par un Russe blanc réfugié à Nice, Alek Kramarenko.

               - Et Marcel dans tout ça ?

         - Mais j’y viens, j’y viens ! Et voyez-vous, c’est tout à son image, discrétion, discrétion !
             Une des premières manifestations de son véritable génie remonte à l’époque de l’occupation, durant la guerre de 39/45. Par ces temps de disette Marcel Desgoulanges avait quitté quitté la banlieue Sud-Est de Paris pour vivre à la campagne - il va sans dire que c’était déjà en soi une excellente idée -. Son attention, constamment en éveil, avait été alertée par certains faits authentiques et campagnards, qui dans leur répétition l'avaient profondément intrigué. Il avait remarqué la réalité suivante : Dans la cour de ferme, lors de la mise à mort d'un canard, une fois la tête tranchée, horreur, le canard court toujours s’il n’est pas immobilisé et même, parfois, vole encore quelques instants. Pas le poulet ! Continuant sa démarche, il lui est apparu que le canard, plongé dans un liquide, reçoit une poussée radicale de vie prolongée, et ce, même après une immersion complète supérieure à plus de quinze minutes. Pas le poulet, qui immergé succombe, lui, en deux ou trois minutes.
                 Conclusion évidente et incontestable: le canard, animal plongeur, dispose dans son organisme d’une plus grande réserve d’oxygène. Dites moi un peu... où se trouve donc ce précieux stock de sécurité ? Dissout dans la totalité du volume sanguin du volatile ! Et pourquoi les cuisiniers émérites font-ils ce plat savoureux que l'on nomme le “canard au sang”?  Parce que le canard, lui, a beaucoup de sang. Pas le poulet !
             Vous devinez aisément quel parcours la totalité de cette masse sanguine emprunte pour passer du cœur... au cerveau du canard? Par le cou, bien évidemment ! Vous discernez le recoupement, si je puis dire. 
                 Perplexe, notre ami Marcel, avait beaucoup réfléchi !... Intensément !
                Palpant de ses propres mains le cou des dites bestioles, il en déduisit cette théorie élémentaire et péremptoire, maintenant fort bien connue : “La mort n’est qu’une asphyxie par manque d’oxygénation du cerveau” (13)... précision indispensable à la compréhension d’un décès, fut-il zoologique.
                 Hé oui... il suffisait d’y penser ! Mais, vous même, avez vous jamais tâté le cou d’un canard? Non? Eh bien, croyez-moi, on jurerait tripoter un long tuyau annelé semblable à celui du fameux appareil respiratoire “Mistral (14) mis en valeur par Cousteau. Là-dessus, je vous en prie, n’allez surtout pas me faire le coup de l’incrédule et me demander royalement quelques précisions...  Tout comme chacun d’entre nous, Jacques-Yves C... 'est sûr, n’apprécie pas toujours les coups tordus !
                  Les Américains non plus d’ailleurs, même s’ils l’ont bien cherché, comme ce fut le cas à l’occasion de l’exposé magistral donné par Desgoulanges  à l’Université de Plolombus.
                  A cette époque, il travaillait en collaboration avec Jacques Mayol (15) pour le compte de l’Agence Américaine de l’Espace (la Nasa), sur une étude relative aux expériences militaires où intervenaient des dauphins nageurs de combat. Français avant tout, c’est dans notre langue que Marcel a toujours aimé faire connaître sa pensée. Ce jour-là, les étudiants l’ayant reconnu et le pressant de s’exprimer, il ne put faire à moins que de commenter, à l’improviste, le résultat essentiel de ses recherches.
             Plus particulièrement poussé à s’expliquer sur “l'évacuation quantifiée de l’oxygène comprimé du sang chez l'ensemble des mammifères au cours de la plongée profonde”, il s’attacha à démontrer que la bête avait un avantage indéniable sur l’homme. Il s’appuyait pour cela sur deux remarques fondamentales :
             a) Aucun symptôme caractéristique d’accident de décompression ne se manifeste chez l’amphibie après sa plongée, quelles que soient la fréquence, la durée et la profondeur atteinte lors de leurs immersion (16).
           b) Aucun animal n’a jamais confondu l’air et l’oxygène... ce qui est bien loin d’être le cas chez nous les humains! (Tout au moins dans le vocabulaire et tout particulièrement celui exprimé par les médias).
               Bien que plus que parfait dans l'expression de sa langue natale, son verbe fut interprété de manière particulièrement regrettable. Le malentendu provenait de la pénible et incompréhensible traduction exprimée par le seul journaliste bilingue présent à cet instant sur le campus et dont l’interprétation laissait croire que les plongeurs respiraient.... de l’oxygène !!! Cette grotesque erreur, sottement reprise par les Agences de Presse sur tout le territoire des States, puis en France, s’est vulgarisée rapidement...
         Marcel était trahi par l’explication donnée sur le principe essentiel de sa théorie. Que pouvait-il faire ? Les conneries ont la vie dure, c’est bien connu !  Encore aujourd’hui, la majorité des médias, se targuant d’informer le public sur la plongée, évoquent avec une conviction désarmante la bouteille d’oxygène... la réserve ou le manque d’oxygène... alors qu’ils devraient tout simplement parler de l’air comprimé que respire, comme tout un chacun, le plongeur vulgaris.
          Par ailleurs, avait fait florès l’idée saugrenue qu’il était aisé de réduire considérablement la durée des temps de paliers de décompression en faisant absorber aux plongeurs, préalablement à chacune de leurs plongées, un comprimé d’oxygène au sang. Cette énormité, d’origine américaine, n’était au départ qu’une simple omission et coquille commise par la Presse écrite (la transformation des parenthèses en guillemets). Le thème remanié ensuite par un traducteur iconoclaste a fait le reste. En réalité, le texte exprimé était: “... dont l’avantage indéniable était d’améliorer considérablement l’apport d’air comprimé (d’oxygène au sang... étant sous-entendu !), s'est retrouvé être " l'apport des comprimé d'oxygène au sang" .
             Fort heureusement cette ineptie “géluloïde” a totalement disparu de la diététique de nos plongeurs. Il faut dire que chaque évocation de cette miraculeuse médication en présence d’Albert Falco (17) et de son équipe de plongeurs cinéastes déchaînait un colossal déferlement d’éclats de rire... L’attitude de ces scientifiques appréciés pour leur compétence provoqua dans les jours qui suivirent une rectification par communiqué spécial naturellement passé  inaperçu. Le mal était fait ! Une chance pour nous que la Calypso ait été en mission dans la baie de San Francisco, sans cela... que raconteraient encore de nos jours les journalistes au sujet des ces petites pilules "miraculeuses".

            Oserais-je ensuite vous dévoiler que c’est tout simplement à la suite d’une ponctuation sonore - un éternuement intempestif et baveux - poliment dissimulé derrière son masque de plongée, que Marcel, notre petit français inconnu détrôna sur le marché mondial la suprématie du coûteux produit number one “made in U.S.A.”, en prônant l’utilisation si simple (il fallait y penser) de la salive individuelle du plongeur en vue d’éviter la formation d’une buée inopportune et tenace sur la vitre du masque.
                  Vengeance suite aux précédentes avanies journalistiques américaines? Oh non, certainement pas ! Marcel a un cœur noble. Il n’a pas de rancune. Je vous en délivre la preuve ?
             Curieusement notre homme, loin de s'offusquer du comique de cet incident, se prit à réfléchir au possible d'une telle réalité : Éliminer rapidement la concentration anormale d'azote stockée dans le volume sanguin des plongeurs lors des plongées longues ou profondes. Suite à l’affaire des “comprimés”, s’emparant de l’idée qu’il trouvait géniale il rechercha avec acharnement la complicité d'un laboratoire pharmaceutique. Il dénichera quelques temps plus tard, en Belgique, un petit labo de recherches avec lequel il travailla à la possibilité de fabriquer des gélules ayant une très forte teneur en oxygène concentré. Ainsi, sans aucun doute, les travailleurs de la mer auraient été à même d’écourter sérieusement leurs paliers de désaturation avec ces "bonbons" à dissolution graduelle d'un nouveau genre. A regrets et faute de crédits suffisants, ces recherches furent de courte durée et abandonnées. Quel dommage, mais qui sait ?...
                  Terminé, la période “nuit américaine” n’a que trop duré. Marcel décide de tourner la page.
                 C’est avec bonheur qu’il prit la décision de revenir en France en traversant l’Atlantique sur une coquille de noix. Empruntant le chemin des écoliers, il fit escale aux Antilles dans l'île de rêve qui était alors pratiquement inconnue des touristes : Saint-Barthélemy. Le port de Gustavia n’était à l'époque qu’un havre marin abrité du vent du large servant de refuge à quelques barques de pêche. Mettant pied à terre et après avoir fait quelques pas notre héros ne pouvait que s'arrêter devant la première maison rencontrée en quittant des berges du port. C'était " Le Sélect " qui au fil des ans est devenu LE BAR de réputation légendaire.

           Ce n’était alors qu'une modeste habitation dont le propriétaire et occupant des lieux, un prénommé Marius avait été maintes et maintes fois sollicité par tous ces navigateurs assoiffés qui échouaient sur le rivage : Ils étaient à la recherche d'un coin tranquille où il pourraient se désaltérer comme il convient à tous marins digne de ce nom. Marius avait donc ouvert buvette en sa demeure. Toutefois, pour sa tranquillité personnelle et afin d’éviter une évolution inévitable vers le genre bien connu de “ taverne à marins ”, il prenait soin de ne servir à boire que côté jardin, à vrai dire à l’extérieur de sa maison. Pour ce faire le client se devait  rester au dehors et se présenter exclusivement à la fenêtre ouverte sur le jardin côté mer. En aucun cas il n'était autorisé à pénétrer à l'intérieur par la porte donnant sur le chemin.
             Bien sûr, c’est avec un "Qu’a-mi-case" en main - traduction : qui te pousse à la maison) - que Michèle, ma fille, et moi-même avons rencontré pour la première fois ce quidam fort sympathique. Nous étions loin de nous attendre à nous retrouver, en présence de cet inconnu, à passer des heures passionnantes avec personnage hors du commun. Marcel, chaque fois qu'il naviguait dans les eaux des Antilles françaises revenait passer un non moment au "Sélect ".  Heureux de rencontrer des plongeurs avec lesquels il allait pouvoir tenir conversation en français et seuls clients en cette chaude fin d’après-midi, nous nous sommes installés tous trois à un table (extérieure) près de la fenêtre, à l’ombre du flamboyant en fleurs. Les langues se sont déliées aisément sous l’influence de ce simple et délicieux cocktail (émulsion de vodka, triple sec et jus de citron).

        Nous évoquions la douceur de vivre sous les tropiques lorsque la serveuse, à notre surprise, vint déposer sur notre table cinq pièces de un franc tout en nous informant que son patron nous faisait un prix d’ami pour cette troisième tournée. La remerciant et sollicitant notre accord du regard, Marcel lui remis deux francs dans la main à titre de pourboire. Ensuite il distribua une pièce à chacun de nous et conserva la dernière, ce qui était absolument logique. Sauf pour lui, qui d’un air perplexe, nous posa soudain les questions suivantes :

           - Mais d’où vient donc cette différence. Oui, Je vous demande où a bien pu passer l’argent qui manque ?

             Nous étions forts surpris et intrigués au plus au point par cette réflexion.

             - Écoutez mes amis, lorsque je suis allé chercher nos verres à la fenêtre, la windowmaid a bien encaissé 30 francs. Autrement dit, les trois pièces de dix francs de notre cotisation (chacun son verre, c’était la coutume en ces lieux à l’époque). Comme vous l’avez constaté, nous venons de récupérer un franc sur le prix de chaque verre, nous avons donc déboursé 10 frs moins 1 fr , soit effectivement 9 frs chacun, d’accord ? Bon, ceci dit, nous sommes trois, donc nous avons payé 9 Frs multiplié par 3 soit 27 frs auxquels il convient d’ajouter les 2 frs de pourboire remis à la jeune fille, donc un total  de  27 plus 2 soit : 29 francs et non les 30 frs du départ. Hé oui, il y a bien un problème, qu’est devenu le franc manquant.  Incroyable, ou est donc passé cet argent ?                   (Attention danger, ceci est une démonstration basée sur la technique du lavage de cerveau !).
         Chaque fois que nous hasardions quelques réflexions plus ou moins pertinentes, il nous a remis sur la voie logique et inéluctable de son énoncé, insistant sur la simplicité du calcul et la clarté des opérations. De quoi nous faire tourner en barriques si nous avions continué à nous abreuver jusqu’au bout de la soirée avec cette potion exotique.( A noter qu’elle aurait plutôt tendance à vous pousser au lit en cas d’abus). Bien que je ne puisse dire que Marcel nous ait laissé sur notre soif si j’ose m’exprimer ainsi, la solution s’est noyée dans le flot de... la conversation et... nous n’en n’avons point reparlé car un sujet, autrement philosophique, nous a ensuite conduit assez tard dans la soirée : Les femmes !
                   Il faut dire qu’en règle générale les hommes sont assez machos et même occasionnellement misogynes. Notre ami, tout comme les autres, le prouvant avec aisance lorsqu’il nous a expliqué qu’en 479 avant Jésus Christ, Confucius aurait délivré sur son lit de mort un jugement péremptoire sur la gent féminine. Des lèvres de l'auguste penseur à sa propre oreille, l’un de ses fidèles disciples a recueilli les dernières vérités qui vinrent à l’esprit du Grand Maître à l’instant suprême. Elles furent consignées sur le parchemin le réputé "Lunyu" relatant sa vie. D’après cet authentique document, selon la traduction de Marcel, maître Kong (K’ong-fou-tseu) qui avait tout vu, tout lu et tout compris s’exprima ainsi dans un ultime souffle:
           Les poissons nagent, (quoi de plus vrai !). Les oiseaux volent. (bien vrai aussi !). Les hommes sont inconsistants (Hem !) et les femmes font chi...! ET... Ici, la décence comme la bonne éducation m’interdisent d’écrire ou de prononcer le terme... en un seul mot.  
             - Chers amis, je dois vous quitter, je vous dis adieu car je reprends la mer aux premières lueurs de l’aube ! Mais à propos, savez-vous que si le mot inconsistant a pour signification, entr’autre, un manque de dureté, le terme mis au féminin, l’inconsistance est la propriété d’une théorie déductive ou la même formule est à la fois démontrable et réfutable et sur ce, me laissant son bristol, il nous a tourné le dos pour disparaître dans la nuit tropicale. Sur cette carte était simplement inscrit son nom : Marcel DESGOULANGES.

        Quel sacré bonhomme que cet inconnu ! Je ne devais le revoir que bien des années plus tard, mais ces quelques heures en sa compagnie me sont restées gravées en mémoire.
          Placide, notre chercheur savait à l’occasion se montrer d’une savoureuse fantaisie dans sa mauvaise foi : Si il lui arrivait parfois d’être quelque peu en retard à un rendez-vous, il souriait d’un air surpris, et s’exclamait “Aaah ! vous avez une montre qui vous donne tout le temps l’heure ... eh bien moi, voyez-vous, par bonheur, j’ai tout le Temps”. Ou bien, il relevait sa manche et circonspect, il se référerait à son cadran solaire de poignet en prenant soin, bien entendu, de l’orienter de telle manière que l’ombre du stylet repliable de son invention lui permette “d’être dans les temps”.  Avec une pointe d’humour bien personnelle, malicieux, il ajoutait parfois, “si vous le voulez bien, usons de l’heure présente...  en nous souvenant de la dernière”.
              

              Ce qui ne l’a pas empêché de se pencher sur les premières heures de la Vie. Lors de son passage à Ngazidja, la grande île des Comores, il fit la connaissance de Jean-Louis GÉRAULT, plongeur émérite avec lequel il étudia sur place un exemplaire du Gombessa, le célèbre Cœlacanthe, cet animal crépusculaire si vieux... qui lui a permis d’évoquer le chaînon manquant. Fort de son sujet, il développa  aussitôt une théorie unique sur le singe aquatique évolutif, notre surprenant ancêtre à tous, le descendant  direct de ce poisson d’un autre âge.
                   Modeste, il a su, toute sa vie, dissimuler ses capacités intellectuelles et s’il s’active dans tous les domaines c’est dans le plus grand anonymat, laissant ainsi à ses contemporains le bénéfice de ses travaux sans y attacher son nom. Pour mémoire voici quelques exemples :                                                                                                                    .                - Dans l’industrie, il participe activement à l’élaboration du fameux  " Moteur Duvant "  de 330 litres de cylindrée et 36 soupapes - cet incroyable et increvable Moteur Duvant qui fit, pendant cinquante ans, les beaux soirs d’Auteuil :  Il avait la fonction d’entraîner, avec ses 1600 chevaux - ce qui semble normal dans un hippodrome - un alternateur capable de fournir de l'électricité nécessaire à l’ensemble du site en cas de panne. Sans oublier les modèles réduits adaptés aux compresseurs “ Bonair ” à pistons libres et soupapes à bourdon.
              - En océanologie il rédige divers mémoires sur la vie des océans et la météo marine (ouvrage où il s’attache en particulier à la prédiction exacte du temps jusqu’à quarante huit heures à l’avance par l’étude comportementale d'une certaine faune côtière sous-marine).

        - Il s’intéresse à la musique symphonique et compose un “ Concert d’eau en sol-si-ré mineur ”, lequel, sous la dénomination populaire de  " Les Orques de Saint Supplice ”, atteint la célébrité que l’on connaît. Ce concerto était spécialement conçu pour la remise à l’honneur de ce monumental instrument aussi antique que désuet nommé “ l’hydraulis ” ou “ orgue à eau ” capable de reproduire simultanément les clameurs de l’orgie des épaulards (Orcinus orca) dits baleines tueuses et le cliquetis de concertation des dauphins.
        - Il porte l’Art Culinaire à son plus haut degré avec ses succulentes aumônières d’écume de gloumouches, violets et moules à l’asperge sauvage sur coulis de corossol et orange. 
               Marcel était un grand enfant. Le moindre sujet éveillait son intérêt et il tirait un important profit de la plus mineure de ses observations.

           Tel William Newton qui penché sur une pomme et édictait les lois de la gravitation universelle, Marcel Desgoulanges avec la Plongée Subaquatique conseille le pratique. Cet observateur attentif du journalier nous prescrit quantité d’astuces indispensables pour notre sécurité de plongeur :
                - À l’inverse du grand physicien qui réfléchissait de haut en bas, sa curiosité l’incite à regarder de bas en haut lors de la remontée des bulles émises par le plongeur. Pour éviter le piège d'effectuer une remontée inconsciemment trop rapide, en fin de plongée il suit du bout du doigt la plus petite des bulles d'air provoquées par ses expirations , puis celle-ci, grossissant, acquiert vitesse et altitude, dès lors il reporte son attention sur la plus petite suivante... et ainsi de suite jusqu’au palier puis la surface....
       - Un autre conseil : Pour équilibrer les oreilles lors d’une descente vers le fond, ne transformez pas votre nez en bille de clown en le pinçant à pleine main comme avec une tenaille. Il suffit d’obstruer bien simplement vos narines, par le dessous du masque, du bout des doigts, puis de souffler doucement : elles se gonflent et font office de chambre de dilatation, dès cet instant, sans aucun effort les tympans s’équilibrent. La manœuvre de Valsalva est réussie sans stress ... et les oreilles ne s’en portent que mieux.
       - Il explique combien, en plongée, il est facile de regagner le bateau sans être obligé de faire surface, lorsque la turbidité de l’eau vous désoriente. Si vous vous sentez perdu dans l’immensité  des flots bien que vous sachiez pertinemment que votre embarcation se trouve à proximité immédiate : Recherchez l'ombre projetée de celle-ci soit à travers l'onde, soit sur le fond sinon observez l’eau blanche due au foisonnement liquide que provoquent les plongeurs et leurs bulles au palier et... palmez au plus trouble... Bravo, vous y êtes!
        - N'oubliez jamais de fixer votre poignard au mollet ! Non, pas sur le mollet, mais devant… en protège tibia… que vous appliquerez sans mal sur les premiers barreaux de l’échelle de remontée. Cela vous aidera à y prendre pied et vous évitera bien des bleus, surtout par mer agitée ou lors d’exercices de sauvetage.                                                                                                                        - Et surtout, lorsque ça tape très fort, ne vous précipitez pas pour saisir l’échelle afin de remonter à bord, attendez l’accalmie,  elle arrive toujours entre deux séries de fortes vagues... Voilà  vous la tenez à deux mains, parfait, dès cet instant et lors de la montée, gardez les bras bien tendus et jambes les plus raides possible pour accompagner les mouvements désordonnés du bateau lors de la séquence grosses vagues. Vous éviterez ainsi de prendre les barreaux dans les gencives !

               Au hasard, quelques recommandations médicales de son cru :
  - N’hésitez pas à utiliser le “Contre Coup” (18), cette incroyable et illustre panacée de l’abbé Perdrigeon quelque peu oubliée à l'heure actuelle mais néanmoins toujours aussi efficace depuis 150 ans (en solution liquide, buvable en cordial et applicable pansement depuis 150 ans. Elle est en vente dans toutes les bonnes pharmacies.
     - Une bonne savonnette au miel ou au savon de Marseille dans le fond de votre lit vous évitera au bout de quelques jours les inévitables crampes qui parfois gâchent vos nuits.
    - Des piquants d’oursins plantés dans les chairs?… Une simple tranche de citron  maintenue en compresse remplace avec succès la boite à couture et ses aiguilles ou la trousse de chirurgie spéciale épilation.
   - Dans les mers tropicales, le sable corallien est abrasif en diable et provoque de douloureuses otites! Portez donc sur votre crâne, bien rabattu sur les oreilles, le bonnet en coton de type  Cousteau. C’est le filtre le plus efficace... à rincer à l’eau douce après usage !


              Réflexions diverses de notre homme :             

Sa devise : “ Il ne suffit pas de regarder, il faut voir ”.                                            

Sa recommandation aux plongeurs :  “Et n’oubliez surtout pas de vous munir d’une forte loupe, vous verrez la mer macro ”. Le sourire en coin il ne manquait pas d’ajouter “comme dans un livre”. Et c’est vrai... Essayez, vous serez agréablement surpris de découvrir ce que les autres se contentent de regarder sans voir !
Sentencieux : “Si vous veniez un jour à avoir besoin de votre tuba en surface et que vous ne l’ayez pas emporté avec vous, vous n’en n’aurez plus jamais besoin ... pour respirer ". Ou alors : “ Pourquoi mettre deux mains sur ce que l’on peut faire d’une seule ? ”.
Humoriste : “ Méfiez-vous constamment de l’eau car elle ne sait pas nager ! La preuve... elle coule !”   “ Il faut qu’une porte soit ou verte... ou d’une autre couleur ”.
Farceur: “Il n’est pas surprenant que les plongeurs soient très souvent assoiffés et portés vers l'alcool, la tentation est tellement forte lorsque l’on trouve sous l'eau un bar tous les dix mètres”.
L’Eau, c’est l’Immortalité ”. Sa brillante rhétorique sur “ l’eau source de vie ” en donne une éminente argumentation, sautant allègrement de “ l’eau primordiale ” des temps originaux, à “ l’eau régénératrice ” de nos centres de thalassothérapie: la vieillesse n’est en réalité qu’une accumulation néfaste dans nos muscles et nos organes d’eau lourde et usagée, et notre corps étant approximativement composé par 78% d’une solution aqueuse... vous concevez aisément son discours.
               Un inestimable trésor latent est à la disposition de chacun d’entre nous dans les annales de ses vicissitudes. Marcel Desgoulanges y raconte avec un humour irrésistible le récit de sa généreuse vie de recherches et d’aventures. Précurseur, il fut bien souvent le premier individu à mettre la main là où l’homme n’avait encore jamais posé le pied. Contées sous forme d’anecdotes, ses actions, ses inventions curieuses, ses déboires, ses analyses critiques et ses pensées, nous invitent à la réflexion. Elles nous emportent dans un astucieux tourbillon sagace et exaltant qui nous tient en haleine tout au long de l’étonnant bouquin “Trop Petits pour aller au Fond”.
           Ce formidable postulat est le Principe Premier de son œuvre.  Adroitement choisi, le titre énigmatique est habilement étayé au fil des pages et in fine se trouve être démontré au travers de l’ensemble. Avec sa subtilité positive, il glisse de la question “pourquoi” posée par tous les humains à la solution “ comment ” qui ouvre l’avenir.
              Là, en 1968, se trouve l’origine de la stupéfiante participation de cet auteur à la communauté humaine utopique de Auroville en collaboration avec Sri Aurobindo et Mira Alfassa. Il dynamisa cette cité rayonnante ayant la forme d’une galaxie où tout rayonne depuis son centre rond. (Il est bon de noter à ce sujet qu’il s’agit en l’occurrence d’une des rares utopies bien actuelle à l’aube du vingt et unième siècle, toujours présente et combien active au sein de la jungle indienne dans la région de Pondichéry) .
              Rédigé en un style clair et vif, ce curieux ouvrage en trois tomes parus aux Éditions Taillambiez est, de nos jours quasi introuvable en librairie. Mais tentez votre chance chez les bouquinistes et autres antiquaires ou vide greniers. Au besoin,  n’hésitez pas à y mettre le prix,  je vous assure, vous ne le regretterez pas. La lecture de cette œuvre de référence est un régal pour les plongeurs mais également pour tous les curieux véritables. C’est une étrange somme d’érudition, de connaissance des hommes et du maniement de l’humour (ainsi... le chapitre consacré au mirobolant projet de renflouage du paquebot Andréa Doria (19) à l’aide d’une “ foultitude ” de balles de ping-pong... un pur chef d’œuvre... d’utopie?... quoique...!).
             Philosophe en diable il conclut avec cette vérité :“C’est en plongeant que... l’on devient plongeur !”  comme l’a si bien démontré... la...f...able.
          Une rumeur laisse entendre que, lorsqu’il aura terminé sa magistrale série “L’Odyssée Cousteau”, Dominique Sérafini, notre éminent dessinateur et journaliste de renom, aurait l’intention de populariser notre Sage en lui consacrant une grande saga en bande dessinée. Excellente inspiration !
             La dernière fois que je l’ai rencontré, Marcel Desgoulanges avait largement et allègrement franchi le cap des quatre-vingts ans. C’était à Saint-Tropez, à bord de “L’Idéal”, notre bateau-école de plongée. Un soir de 14 juillet, il était arrivé tardivement, en plein feu d’artifice, pour boire un verre avec nous, invité par Claude et Charly, ses amis de toujours.
            Surpris et charmé par l’accueil enthousiaste de nos plongeurs - discrètement alertés - il avait délivré de bonne grâce autographes et poignées de mains, puis, malgré une évidente fatigue, il avait accepté avec gentillesse de raconter quelques anecdotes marquantes de sa vie prodigieuse...
               En fin de soirée, il nous a confié qu’il travaillait sur un grand projet. Fort de son principe “ Vieillir c’est renoncer ”, depuis quelques mois il s’était investi avec passion et une fougue toute juvénile dans une nouvelle voie de recherches :
             Scientifiquement il a été prouvé que lorsque la lumière traverse de part en part un élément liquide, non seulement elle perd de sa brillance mais, phénomène beaucoup moins connu, sa vitesse se trouve réduite de quelques cinquante mille kms/seconde; c’est impressionnant ! Il en avait déduit qu'à chaque instant une énergie considérable provenant d’une telle décélération s’éparpille, à notre insu et en pure perte, dans l’univers. Effectivement, considérons l’infini rayonnement diffusé chaque jour par le soleil et de nuit par d’autres sources lumineuses d’origine industrielle : ces divers éclairages frappent mers, lacs, fleuves, ou, plus simplement la carafe d’eau claire et le verre de pastis... Quel gâchis, quelle perte inestimable que ces forces insoupçonnées dispersées ainsi dans la nature!  
Il était grand temps qu’un esprit d’ordre supérieur s’attache à creuser la question. Voici enfin une énergie propre et inépuisable à utiliser sans modération jusqu'au  jour dernier.  
              Cela dépasse l’entendement ...!

        Puis, vers la fin de l’été, un bruit a couru : 

" Marcel Desgoulanges est introuvable ! " " Marcel Desgoulanges a disparu ! "                  Certains milieux autorisés ont émis l’hypothèse plausible qu’il s’en était allé en Orient sur les traces d’Omar Khayyam pour faire admettre aux scientifiques le bien-fondé de la profonde et dernière question posée par la carpe au canard : “ L’eau remontera-t-elle un jour le cours de la rivière ? ” (20).

                 En vérité Marcel est parti pour l'autre monde, discrètement, au cours de la plus étrange et secrète expérience menée pour les Thanatonautes (21). Dans un longue et ultime apnée, en pleine possession de toutes ses facultés et murmurant la célèbre cantate du poète écossais Robert Burns (22) : “ Ce n’est qu’un au revoir mes frères...” il nous a quittés pour toujours.
                En outrepassant les portes du coma, sa pittoresque et ultime mission était de découvrir les territoires humides et mirifiques de la “mare incognita”.
                Au revoir... Marcel !                                         


(1) La Sogetram, est la plus ancienne entreprise au monde à avoir utilisé le scaphandre sous-marin individuel  pour des travaux subaquatique. Elle a été crée en mai 1952 par le regretté André Galerne et quelques copains membres d'un clan des scouts Éclaireurs de France. 

(2)  Louis Denayrouze :  né à Espalion en 1848   † 1910 Paris .

(3)  Benoît Rouquayrol :  né à Espalion en 1826  † 1875 Rodez .

(4)  Auguste Denayrouze né à Montpeyroux près Laguiole en 1837  † 1883 Paris .

(5) Scaphandre. Ce mot issu du grec (bateau-homme), a été créé en 1766 par l’Abbé de la Chapelle: Il avait conçu un corselet permettant aux militaires de s’immerger jusqu’aux “mamelles” pour traverser lacs et rivières en continuant, debout, à marcher et à combattre, même dans les eaux profondes. En fait, prévu pour l’utilisation d’un “sur l’eau”, le scaphandre est devenu au contraire un “sous l’eau”. Le “Dictionnaire de la Marine à voile” de Bonnefoux et Paris, publié en 1848, en donne la définition suivante “sorte de vêtement ou d’appareil dont se revêtent les hommes qui veulent   s’isoler dans l’eau pour s’y soutenir ou même plonger au-dessous de la surface” ®Édition Fontaine du Roi 1987. Mais c’est lors de la présentation de son brevet améliorant “l’appareil-plongeur” de Sièbe à l’Exposition Universelle de 1855 que Cabirol, reprenant le terme de La Chapelle, impose définitivement le mot “scaphandre”.

(6) Brevet n° 63606 de 1864 repris et adapté près de quatre vingts ans plus tard pour l’appareil “Cousteau-Gagnan 45”.

(7) En octobre 1976, lors de l’opération “Janus”, deux aquanautes français ont atteint la profondeur réelle de moins 501 mètres, en haute mer, au large de Cavalaire.

(8) Henri Denayrouze fut à la fois gérant, directeur commercial, ingénieur, comptable,  plongeur  et animateur de la Société de 1865 à 1895.

(9) Auguste Sièbe . ingénieur allemand naturalisé anglais. 1788 - 1872 .

(10) A noter que Louis Denayrouze avait éclairé Paris en 1877, d’abord à l’électricité (Paris ville lumière !), puis vingt ans plus tard (1898), au  gaz de ville. Le journal “Le Temps” lui consacra un article qui le désignait comme “l’une des plus grandes figures de l’industrie moderne”.

(11) Le premier vêtement isothermique est la création, en 1948, du spéléologue français Guy de Lavaur, qui, pour explorer la rivière souterraine de Padirac, eut l’idée de se protéger du froid en collant une feuille de caoutchouc cellulaire sur sa chemise en jersey.           

(12) Yves Le Prieur 1885 - 1963. Il s’inspira du scaphandre sans casque crée par l’ingénieur Fernez pour les ouvriers travaillant au chalumeau subaquatique en bassin.  Il inventa également la cage anti-requins, l’arbalète à sandows et réalisa les tous premiers films couleur sous-marins grâce à un caisson étanche de sa fabrication.

(13) Sans le savoir Desgoulanges rejoignait le physiologiste Paul Bert (Auxerre 1833 - Hanoï 1886) auteur de travaux notoires sur la “Pression Barométrique”, lequel est surtout connu des français en tant qu’homme politique ayant contribué, avec Jules Ferry, à rendre l’école primaire gratuite et obligatoire.

(14) “Le Mistral” et le “Royal Mistral” sont des appareils de respiration sous-marine datant de la fin des années 40, encore employés actuellement par certains “vieux plongeurs” nostalgiques d’une époque héroïque. Comportant un seul étage, construit sous licence par la “Spirotechnique”, filiale de “L’Air Liquide”, ces détendeurs ont été supplantés autour  de 1970 par le “ deux étages” plus facile d’emploi. 

(15) Jacques Mayol (1924 - 2001) premier “Homo-Delphinus” à avoir atteint la profondeur  record de moins 100 m en apnée. Cette expérience a été réalisée en 3’40’’ le 23 novembre 1976 au large de l’île Monte-Christo (près de l’île d’Elbe). Jacques Mayol a été l’inspirateur du film culte “Le Grand Bleu” de Luc Besson.

(16) Certains mammifères comme les morses ou les cachalots atteignent couramment des profondeurs de 800 mètres et plus sans aucun problème, alors que les humains sont sujet à des accidents de décompression à la suite d’apnées successives de 40 à 50 mètres. C’est le “Taravana” des pêcheurs de nacre en Polynésie.

(17) Albert Falco, le réputé chef plongeur et capitaine de la Calypso, est entré dans l’Histoire de la plongée avec Claude Wesly en septembre 1962 pour avoir réalisé au large de Marseille l’expérience “Précontinent I” conçue par le Commandant Cousteau. Les deux hommes passèrent huit jours dans la “Maison sous la Mer” baptisée Diogène, installée par dix mètres de fond et d’où ils sortaient chaque jour pour effectuer quelques travaux jusqu’à vingt cinq mètres de profondeur.

(18)  "Le Contre Coup" de l’Abbé Perdrigeon (1822 - 1888) est un médicament d’usage à la fois externe et interne, traditionnellement utilisé dans les cas de contusions, hématomes, plaies, fatigue, crise de foie, goutte, arthritisme etc... Toujours actuel et en vente dans toutes les bonnes pharmacies.

(19)  Le paquebot transatlantique “Andréa Doria” fit naufrage dans la nuit du 25 Juillet 1956. Alors qu’il devait arriver à New York six heures plus tard, il fut éperonné dans le brouillard par le “Stockholm” à 23 heures 09, près de Nantucket Island. “L’Ile de France” et deux autre navires américains sauvèrent 1662 naufragés du Doria qui déplora 44 victimes. Le Stockholm perdit cinq de ses marins tués au moment de   l’abordage. Il réussi néanmoins à regagner N.Y par ses propres moyens, alors que l’Andréa Doria disparaissait dans les flots le lendemain matin à 10 heures 09.

(20) Extrait du célèbre robayat (quatrain) tiré du livre “Ruba Iyat” écrit par Omar Khayyam  (environ 1048 - 1131), astronome, mathématicien, philosophe libre-penseur et poète persan

(21) Thanatonaute : explorateur de la mort. Du grec “Thanatos” (divinité de la mort) et de “nautès” (navigateur). Mot créé par Bernard Werber, journaliste-romancier français né à Toulouse en 1961. Il s’est fait connaître par  sa fameuse trilogie “ Les Fourmis”  et “L’Encyclopédie du Savoir relatif et Absolu”. Cette série traduite en 22 langues parue aux éditions “Albin Michel” a été reprise en “Livre de Poche”.

(22) Robert Burns  (1759-1796) poète britannique autodidacte dont le style spontané, drôle, ironique et même révolutionnaire fit l’admiration des romantiques.


GRAVURES DE L’ILLUSTRATION DU 01 JANVIER 1896

009 L'ILLUSTRATION

     

 

 

  MICHÈLE

ma fille, passant commande de ti-punch

à la fenêtre du SELECT à Saint-BARTHÉLÉMY

3679 Michèle au SELECT

                          

 

 

 

Dominique SÉRAFINI

célèbre dessinateur de BD

et journaliste.

3302-Dominique-SERAFINI.jpg

                        

 

 

                    
" L ’ IDÉAL " 

dans le Port de Saint-Troprz

(Peinture de Lucien Garcin)
L'IDEAL Saint Tropez

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15 février 2011 2 15 /02 /février /2011 00:30


ENTRE  DEUX  PLONGÉES


                                                                                                  De temps en temps
                                        il faut absolument se reposer
                                                                       
de ne rien faire.
                                                                                                                                                   Jean COCTEAU

                                                                                                                                                       (La difficulté d'être). 

 

 

          On ne pouvait trouver plus belle fin de semaine.
          Le soleil de ce joli mois de mai resplendissait sur toute la Côte d’Azur et ma foi je crois bien qu’il brillait avec encore plus d’éclat sur la charmante  petite localité portuaire de Saint-Tropez.  Ce qui est indéniable, c’est que le ciel bleu de la Côte faisait régner sur la cité  du Bailli une bonne humeur permanente et de bon aloi qui se transmettait auprès de tous, petits et grands, indigènes et touristes. En effet, comme chaque année à pareilles dates depuis des siècles, les bravadous parcourent la "Cité du Bailli” sous les applaudissements de leurs concitoyens afin de consacrer, dans la dignité et l’allégresse, la seconde fête nationale du village, la célèbre et originale " Bravade ".
           Précédant la foule endimanchée, les hommes, en uniformes chamarrés du Premier Empire, tromblons impeccablement astiqués, sabres rutilants à la hanche et vieux fusils démodés entre les mains, commémorent en cette cérémonie, des événements qui puisent tout d’abord leurs racines en l’an 68 de notre ère. À cette époque, la région est “Provincia romana” (origine du terme Provence).

           En Mai 68 - le vrai MAI 68 et non la date du vingtième siècle exclusive aux étudiants - s’échoue sur le rivage de la  bourgade d’Héraclée (devenue par la suite “Saint-Tropez”), une barque ou se tenait un coq, un chien ainsi que le corps décapité d’un chevalier romain du nom de Torpès, centurion de l’empereur Néron. Ce tyran avait fait martyriser son subalterne pour sa conversion au christianisme avant de lui faire trancher la tête.
           Ce raccourcissement en fit sa grandeur, puisque canonisé, il devint Saint Torpès, puis Saint Tropez par dérive nominative. Ce prénom rénové fut par la suite adopté définitivement par les habitants du village.
           Par ailleurs, la seconde source des racines de la cité est puisée quinze siècles plus tard  en référence à de hauts faits datant de l'année 1558. À l’époque de la Renaissance, les pirates barbaresques mettent à sac les bourgades côtières. La cité de Saint Tropez n’échappe pas à la convoitise des pillards.
           Mais, grâce au Baron de Grimaud, alors gouverneur de Provence, elle se releva de ses ruines et fut fortifiée. Devenue place forte du littoral en vertu de son importance stratégique, durant deux siècles, elle fut placée sous la responsabilité d’un Capitaine de Ville . Ce dernier était le commandant d’une milice paroissiale qui assurait la sécurité du site ainsi que celle des localités voisines.
                Sous le règne de Louis XIV une garnison royale s’installa dans la citadelle construite par Vauban, ce qui mit un terme à la mission de la Ville.
                Mais, pour autant, les Tropéziens n’oublient pas. Ils gardent en mémoire ces faits historiques et les commémorent chaque année aux dates précises des 16, 17 et 18 mai. A grands coups de tromblons sont célébrés ces temps héroïques et religieux.  Au cours de défilés dans les ruelles et venelles, sur le parcours allant de l’église au port via l'Hôtel de Ville, un spectacle étourdissant de détonations tirées en salves honorifiques (plus de quatre cents kilos de poudre sont utilisés) anime ces trois jours de liesse.
             Durant toute la durée de cette période, les pipeaux aux sonorités joyeuses, alliés aux fifres et aux tambourins, donnent l’aubade sur chaque place tandis que le Capitaine de Ville passe ses troupes en revue sous la houlette du Cépoun. Le privilège musical de ces festivités est l'exclusivité du groupe tropézien “Le Rampéou” animé avec bonheur par de bénévoles conservateurs des traditions.
             Ce dimanche, après que l’odeur de la poudre ait été dissipée par la brise marine, la cité avait retrouvé calme et douceur de vivre, les membres du Club de Plongée de Montargis pourront en attester, ils y étaient.  
             “ L’Idéal ”, notre fier chalutier, ayant quitté récemment le môle Jean Reveille, non parce qu’il trônait à proximité du Banc des Menteurs, mais dans le but de faciliter son accès à la clientèle motorisée, nous nous étions réinstallés au quai du Nouveau Port longeant le grand parking .
              Repeint à neuf de bleu et de blanc, notre “dix-huit mètres” étincelait aux mille feux de l’eau miroitant au soleil.  A vrai dire, il rayonnait aussi dans le regard satisfait de ses sympathiques propriétaires, Claude Gavory et Charles Battisti, les célèbres “Plongeurs du Golfe”.
              J’étais resté avec mes successeurs pendant la pause de midi afin d’assurer la gonfle des bouteilles d’air alors que mes ouailles montargoises se restauraient au village de vacances “Léo Lagrange” de Pampelonne.
              Le grand pont de l’Ascension nous avait donné la possibilité de profiter d’un beau et long week-end puisque nous prolongions notre séjour jusqu’au lundi en fin d’après-midi.
              Attendues par la majorité d’entre nous avec l’impatiente que vous devinez pendant les mois obscurs des exercices en piscine, les plongées que nous réalisions à la Sèche à l’Huile, aux Sardinaux, à Basse Rabiou ou à La Pointe de l’Aÿ (1)... devenaient un rêve authentiquement vécu.  C’est bien connu : la réalité dépasse souvent la fiction... Nos grenouillards étaient effectivement enthousiasmés par la splendeur du Mur de Corail, la coloration de la Passe Jaune, la Grotte au Mérou, les Pyramides, l’Arche, la Cathédrale... Le stage se déroulait parfaitement à la satisfaction générale et il nous restait tant de merveilles à explorer...
              Entre deux tours de blocs, assis sur un coffre à l’ombre du rouf, entre “patrons” nous étudiions la possibilité d’aménager de nouveaux horaires de sorties en mer pour la proche saison estivale. A cet effet  nous venions d’acquérir pour quatre sous un pauvre vieux Zodiac, prévu tant à usage d’annexe de sécurité, qu’en garde-place au port.
              Cet achat n'était pas l'affaire du siècle et de plus, notre possession du bien avait mal commencé : En début de matinée, dans l’intention louable d’équilibrer sa ceinture de plombs, un plongeur - comme par hasard, c’était Alain, son nom vous dit peut-être quelque chose - avait déployé celle-ci sur le boudin du pneumatique resté à quai à l’arrière de L’Idéal. Maniant sa dague avec une dextérité toute relative en vue de modifier l’emplacement des poids, d’un malheureux coup de lame, ce bricoleur d’occasion avait transpercé la toile caoutchoutée, il est vrai, déjà usée par endroits jusqu’à la trame. Si bien qu’une belle rustine rouge, large comme une assiette à dessert, avait pris place non sans difficultés dans le patchwork des réparations précédentes... Enfin !... ce soir, équipé d’un moteur Yamaha  de petite cylindrée, l’esquif reprendrait un peu d’allure. Pour le moment, bien gonflé, il restait à terre afin de permettre à sa nouvelle emplâtre, encollée au maximum, de sécher dans les meilleures conditions.
              Je venais d’en terminer avec une série de bouteilles, lorsque,  au moment de revenir vers mes compagnons, mon regard fût attiré par un violent remous s’arrondissant à la proue du bateau.
              - Ho ! Les gars, doit y’ avoir de sacrés mulets là-dessous. Dommage que l’eau du port soit si trouble, on ne distingue absolument rien, pourtant ça bouge fort, là sur le devant.
             - Cet été, quand les eaux seront redevenues claires, tu les verras en surface se battre comme de beaux diables. Ils viennent ici en troupes serrées, car ils savent que nous balançons les reliefs  de notre bouffe. Ils s’en régalent, pour sûr, me répond ce dernier
             -  Ils sont aussi frénétiques que les requins qui tournent autour de leurs proies avant de les attaquer, renchérit Claude. Et en plus, les goinfres arrivent toujours à l’heure... pile à treize heures trente, au moment où nous faisons la vaisselle.
             - Ah bon ! Mais au fait... aujourd’hui, c’est plutôt bizarre, ils sont carrément en avance, il n'est pas encore midi sonné... 
             - Ou alors ce n’est qu’un groupe d'éclaireurs !...
             Nous épiloguions sur l’intelligence de nos voisins. Pas de solidarité dans le monde des profondeurs marines, chacun se débrouille comme il peut... c’est la lutte pour la vie. Il est bien connu que ventre affamé n’a pas d’oreille.
              Et pourtant... à ce propos...
              J’évoque, avec un brin de nostalgie, le petit poulpe dont j’étais tombé amoureux l’année précédente, du côté de " La Roche Michel " (2).
              La faible bestiole était littéralement verte de peur lorsque je l’ai surprise, plaquée contre la paroi du tombant et isolée de son antre par la présence de mon énorme main. Pour mieux l'observer, jai porté mes yeux masqués à sa hauteur.
              Son corps entier se couvrait d’ondes mordorées allant du blanc-vert au rouge-noir. Je devais paraître gigantesque pour ce nouveau né qui aurait largement tenu dans le creux de ma main. Retrouvant son sang froid - pourquoi l’aurait-il perdu à vrai dire - l’animal déroula discrètement un tentacule vers une saillie du rocher. Il s’y accrocha solidement et mine de rien, son corps, semblant  immobile, se tractait de manière imperceptible, millimètre par millimètre vers son point d’ancrage. Quand à son avis il se trouva hors de ma portée, il reprit ses aises et inspecta l’horizon, dressant un œil inquiet, puis l’autre, à la manière d’un vieil aventurier en cavale. Rassuré, il contourna prestement une éponge multicolore. Dans l’intention de couvrir sa fuite, se rendant compte de ma présence persistante, il éructa un minuscule nuage d’encre noire avant de se glisser dans une brèche de la rocaille où il disparut.
              J’étais loin d’imaginer que venait d’entrer dans ma vie un céphalopode dont je me souviendrais longtemps.
              Est-ce bien le hasard, si dès le lendemain, mes palmes me conduisirent aux abords du même site? Toujours est-il que, désirant attirer l’attention de ma palanquée (pour une raison dont je ne me souviens plus), je frappe plusieurs coups distincts sur la paroi rocheuse du tombant avec le manche de mon poignard de plongée.
             Ô surprise, j’aperçois, à quelques centimètres de ma lame, un bébé poulpe. Curieux comme tous les enfants, il fait poindre ses yeux interrogateurs à l’orifice de la cavité où il se dissimulait. Enfoui sous une magnifique une éponge jaune-orangé, celle-là même que j’avais remarquée la veille, il devient victime de sa curiosité en se découvrant. Il émerge en totalité de son refuge, s’arrête et se hérisse en une boule grise qui se confond avec la roche
              Pas de doute, c’est bien lui qui, la veille, avait retenu mon attention.
              L’effronté, il parade sur le devant de sa grotte et nous toise de toute sa hauteur qui pourtant ne doit pas excéder un pouce. Il est amusant et absolument pas effarouché : les hommes... il connaît... vraisemblablement depuis... quelques heures à peine... disons d’hier.
              J’avais en permanence, à cette époque, dans une poche de ma  "jackette", quelques friandises marines à offrir au hasard des rencontres, en l’occurrence ce jour là, de fraîches et appétissantes petites crevettes grises. D’un coup de pouce, je détache une queue et la lui présente. Il reste immobile, puis lentement un tentacule vient palper le présent. Heeaaheeoooummm !... Quelle aubaine... Brusquement un second bras, tel un fouet, s’abat sur la proie et l’enlace. Avec impudence, le vainqueur regagne calmement son trou. Dégustation et tranquillité vont de paire.
              Nous reprenons le fil de notre exploration. Sur le chemin du retour, je repasse, volontairement cette fois, au même endroit. Notre ami est invisible. Le trou semble vide, mais il est profond et le gastronome peut s’y dissimuler aisément. Je dépose une crevette sur le bord et pour l’en avertir, je frappe sur la roche trois coups brefs et deux longs... comme ça - Toc,toc,toc ... boum, boum! Rien ne bouge... Le petit gourmand digère et fait la sieste... Mais c’est alors que l’un de mes plongeurs déclenche sa réserve: terminé pour aujourd’hui. J’abandonne toutefois mon cadeau à l'orifice de son repaire.
               Nous regagnons la surface.
               Le lendemain, cela va de soi, je retourne sur les lieux.
               Un léger faséyement de l’eau expulsée par l’octopus signale sa présence au creux de la roche. Comme précédemment, je réitère mon signal sonore : trois points, deux traits, tout en présentant au bout de mes doigts une délicieuse crevette. Minute de suspense... Un tentacule apparaît et avec précautions se saisit de l’offrande. Comme je tiens bon et ne lâche pas mon cadeau, un second puis un troisième bras viennent vivement à la rescousse. L’instant d’après, notre “Poulpissimo” apprivoisé se pelotonne affectueusement  au creux de ma main.
                Surprenant n’est-ce pas?
               Étonnés et ravis, mes compagnons de palanquée esquissent des applaudissements.
                Le cérémonial va d’ailleurs se répéter durant plus de trois mois, au grand plaisir de tous les plongeurs de L'Idéal qui m’en parlent encore aujourd’hui. Bien qu’ayant pris de la taille au point d’avoir quadruplé de volume, il a conservé son antre toute la saison d’été... sans que les réelles difficultés qu’il éprouvait à s’infiltrer dans son domicile ne l’en dissuade de le conserver.
                Demeurer sur place, était-ce un gage d’amitié ? Une preuve de fidélité envers moi?   La satisfaction d’avoir élu domicile “au bon coin” ? Ou s’agissait-il plus simplement d’un excellent exercice de souplesse familier à ceux de sa race ?
               Je ne saurais me prononcer, comme d’ailleurs sur l’efficacité de mes signaux sonores. Les poulpes entendent-ils les sons ? Non, répondent les zoologistes. Néanmoins, je reste persuadé que le bruit de l’appel était perçu et compris. Vibrations de la roche enregistrées par les organes sensoriels (et préhensiles) que sont les ventouses ? Je l’ignore... mais le son n’est-il pas que vibrations ?
               Alors.. Qui a dit que poulpe affamé n’a pas d’oreille ?
               Nous en discutions encore lorsque :
              - Mais non, les gars, ce ne sont pas des mulets, s’écrie  soudain Claude. Michel, Charly, regardez là-bas, devant le voilier, ce doit être un "mola-mola" (3)...  il vient droit sur nous... là, en surface, avec sa nageoire...  comme l’autre jour, le poisson lune qui t'a suivi, Michel, sur le Rubis
              Effectivement, l’onde paisible du port se ridait en un “V” dont la pointe se dirigeait vers le quai. Cette trace solitaire et fugitive ne pouvait être que celle d’un paisible mais monumental poisson dont la nageoire dorsale émergeait de temps à autre. 
              - Ho là là ! Il doit avoir une sacrée taille.  Si on ne le voit pas, on devine aisément sa masse lorsqu’il affleure un instant la surface.
             Du regard, nous suivons ses évolutions tranquilles tout en essayant de deviner en quel endroit du bassin il va réapparaître. Après quelques minutes d’observation, nous remarquons l’incohérence de son manège. Il arrive, nous semble-t-il - car nous ne faisons que l’entrevoir - à se faufiler entre les bateaux accostés aux divers pontons et parfois même, il va jusqu’à se heurter au mur du quai dans les emplacements libres.
             - Vous ne trouvez pas ce comportement un peu bizarre? Avec ce va et vient, il donne l'impression de s'être égaré dans le port, il semble perdu ...  ou malade ... !
             - Oui, ça c’est ben vrai, ça ! s’exclame Charly. “J'vais y’aller voir ça d’plus près”.
             D’un bond il saute à terre. Il s’empare d’une rame, soulève le Zodiac et le glisse à l’eau.
             - Ok, allez-y tous les deux les gars, je reste à bord pour surveiller les compresseurs.
            Claude a saisi un long et souple filin, il confectionne un nœud coulant en rejoignant son compère. Aussitôt l’amarre larguée, ils se dirigent vers la passe…
            -  Non, non, il est là-bas... à bâbord, en bout du port, vers la grue mobile!
                La godille efficace de Charly dirige le pneumatique dans la bonne direction.
            Claude, debout à l’avant (belle figure de proue) fait des ronds dans l’air avec son lasso. Tout à coup il projette l’engin devant lui... la boucle cingle l’onde opaque et s’y enfonce pesamment.
                - Stop ! Charly... Stop ! Je le tiens !
                 Notre cow-boy improvisé commence habilement de hâler son cordage qu’il tend jusqu’à le raidir. Tirée soudain de l'avant vers l’arrière, la ligne provoque une embardée  imprévisible du Zodiac qui effectue brusquement un demi-tour sur lui-même.
                Les deux passagers, déséquilibrés, se retrouvent bousculés au fond de l’embarcation. Claude tient toujours le cordage d’une main ferme. Le frêle esquif est maintenant et avec vigueur tracté en direction de la sortie du bassin.
                 Que ce passe-t-il soudain? Le bateau s’arrête. Soulevé en partie hors de l’eau il retombe avec violence en provocant remou et gerbe d’eau dans un bruit d’éclatement. Et le voila qui commence à s’enfoncer dans les flots, par l’arrière, sous le poids de Charly et du moteur. L’homme  se redresse comme il peut et, raide comme un passe-lacet,  dans un geste noble et précis, il porte la main droite à son front. Dans un salut militaire de la meilleure tradition il coule fièrement avec son navire, héroïque et courageux capitaine de légende.
                  Quant à Claude, projeté par dessus bord, il nage vigoureusement vers le quai le plus proche mais encore éloigné d'une quinzaine de mètres.. Dans son sillage je distingue, c’est à peine croyable, non pas la pesante nageoire d’un poisson lune mais l’aileron triangulaire d’un squale. Je reste muet de saisissement.
                                 Horreur ! C’est un requin dit "Requin pointe noire".
                    Je le vois, il nage maintenant en surface, il est énorme, près de deux mètres de long. Dans une réaction de défense il s’est attaqué au Zod.  Sa puissante mâchoire a déchiqueté le flanc du gonflable dans une explosion sonore, et providentielle, qui l’en a éloigné un court instant.
                   Charly, toujours en représentation, n’a rien vu. Intrépide, il continue de sombrer en saluant, le dos tourné au drame.
                     OHo ! J’ai l’impression que Claude faiblit. Son allure est ralentie par le cordage qu'il a toujours enroulé autour de son avant-bras.
                   Oui ! Le tueur se rapproche dangereusement... Mon Dieu ! Dans un effort olympien, tel un nouveau Johnny Weissmuller(4), Claude maintient désespérément les cinq ou six mètres salutaires qui le séparent de l’horrible monstre. Cela lui donne le juste temps nécessaire à saisir le pneu pare-battage qui pendouille à sa portée le long du quai. Il pose un pied dessus et dans un superbe rétablissement  il se hausse sur le macadam.
                     Le voici à terre. Ouf ! Sauvé !
                    Le requin, voyant sa proie lui échapper, reste interdit. Il hésite, fait demi-tour et s’oriente vers la passe... en direction de Charly... innocente victime qui barbote encore joyeusement et s’esclaffe à la pensée que son Zodiac pourri vient d’éclater dès la première mise à l’eau... Il se retourne et découvre l'inconcevable réalité. La terreur des océans lui fait face. Le redoutable mangeur d’hommes, la gueule grande ouverte, découvre soudain d’innombrables dents tranchantes comme des rasoirs.

 

    C’est l’attaque.
             Charly disparaît dans un incroyable bouillonnement d’écume. A l’ultime seconde du drame, les dents de la mort se sont refermées...
                    ... dans le vide !
                  Coup de théâtre.
                    Témoin angoissé de la tragédie qui vient de se dérouler en direct, sous mes yeux, il m’a fallu un certain temps pour comprendre le miracle.
                    La succession rapide des événements n’a laissé aucun un temps de réflexion à Claude lors de son retour précipité et acrobatique sur le quai. La corde (5), dont le nœud coulant avait intercepté le sélacien, était restée en sa possession, enroulée autour de son poignet.
                   Aurais-je eu la présence d’esprit, moi, de penser que Charly ne pouvait être sauvé que par ma fuite ? Je me le demande encore ! C’est dans les grands moments que l’on découvre les grands hommes.

             “Mac Gavor”, lui, dans un départ fulgurant digne de Jesse Owens (5), a couru follement sur le parking en s’éloignant de la mer. Par la suite nous avons mesuré la distance parcourue : il lui a fallu quinze mètres d’un sprint furieux pour tendre la corde et, in-extremis, stopper le tueur alors qu’il allait trucider notre naufragé.
                    Merci Monsieur Gavory !
                    Mais l’histoire n’est pas achevée...
                   Charly, “Le Vieux” comme il permet à certains amis de le nommer familièrement, en quelques brasses nous a rejoints. Puis, voyant le “monstre” épuisé et toujours captif, il a aussitôt pris l’initiative des opérations. Avec son flegme habituel, il nous a fait part de son idée ...
                   Sur son conseil nous allons vivement au bout du parking installer sur la plage de "La Bouillabaisse"  une sorte d'enclos en grillage et en demi-cercle, partant du rivage et baignant dans trente centimètres d’eau .
                   De retour au bateau, nous retrouvons Charly, qui, avec l’aide de quelques touristes stupéfaits, commande adroitement la manœuvre d'une bâche de toile bleue. Telle un carrelet de pêche, elle vient se glisser sous le requin, toujours empêtré dans le lasso, ce qui permet de hisser l'animal à terre sans dommage. Muselé non sans mal avec un sac à patates, le requin, devenu un simple colis, est transporté à l'aide de deux perches de bambou jusqu’à la plage comme un mandarin dans son palanquin.
                   Après l’avoir dépaqueté avec les mesures de précaution qui s’imposaient, nous avons libéré le prisonnier à l’intérieur du vivier de fortune. 
                    Et... ô surprise... dès la mise à l’eau de notre “star”, la Nature reprenant ses droits, nous avons assisté à la naissance de quarante-deux petits squales tout frétillants.
                   Je peux vous dire qu’il y avait foule autour de nous. Parmi les curieux, c’est à qui prendrait les plus belles photos de la mère féroce et de sa charmante  petite famille.
                    En fin d’après-midi, la Direction de l’Aquarium de Monaco que nous avions prévenu, nous dépêchait une vedette rapide spécialement équipée afin de prendre livraison des captifs. La remise en liberté de la tribu en haute mer devant lui assurer les plus grandes chances de survie, l'affaire se terminait bien.
                    Avant de nous quitter, les matelots du Musée Océanique nous ont donné une explication plausible relative à la visite de ce grand squale égaré dans le port de Saint Tropez. : Il arrive  maintes fois que des femelles, sur le point de mettre bas, recherchent un emplacement tranquille proche du rivage. Ainsi leur progéniture aborde les premières heures de la vie dans une eau calme, à l’abri des autres prédateurs.
                      C’était sans compter avec les hommes... Pauvre Maman-Requin, elle a bien mal choisi son havre de paix, en cette belle journée de printemps. 
                    Par contre, c’est certain, elle a fait le bonheur de l’ami Jean-Marc HAURET, notre sympathique journaliste-photographe-plongeur, qui, dès le lendemain, titrait un scoop sur trois colonnes à la une de l’incontournable Nice-Matin :

                                    “ Les dents de la Mer à St Tropez ”.

                     Son article, mordant et spirituel, illustré en première et cinquième page par de magnifiques photos couleurs, racontait au grand public, l’art et la manière élégante avec laquelle nos Héros sont parvenus à vaincre L'Ogre des Mers. Incroyable non ?...
                      Mais si  ! Mais si  !! Comme je vous le dis !!!
                      Interrogez donc nos plongeurs Montargois. Bien qu’arrivés après la bagarre, ils ont vu les Hommes et la Bête et bien sûr, tous se sont procuré par la suite un exemplaire du quotidien. L’aventure valait la peine d’en conserver la narration officielle.
                      Vous hésitez à croire en mon récit? Quand vous le désirez, je mets à votre disposition la preuve que c’est une histoire authentique :
                      C'est vrai, puisque c'est dans le journal  ! Vous savez lire, non !

           

(1) “La Pointe de L’Aÿ” est un dangereux écueil sis à l’entrée du Golfe de Saint Tropez. Situé entre les balises de la Moutte et du Rabiou il a provoqué de nombreux naufrages jusqu’à ce que sa signalisation ne soit matérialisée visuellement sur les instances du Commandant Taillez à la fin des années 70.

(2) “La Roche Michel”  porte le prénom de l’un de nos amis plongeurs, victime d’une chute mortelle lors d’une escalade dans le Massif du Mont Blanc. Il avait émis le Vœu, si un accident lui arrivait, que l’urne contenant ses cendres soit déposée auprès de la” Vallée aux Gorgones d’Or”. La cérémonie s’est déroulée avec la participation de l’Idéal et de son équipage de plongeurs.

 

(3) La "Môle (mola mola) appelé aussi "Poisson lune" est un animal à la tête proéminente, pratiquement sans queue et peu épais par rapport à la hauteur. Il est certainement l'une des plus lourdes espèces de poisson, son poids pouvant dépasser les 1000 kgs dans les mers tropicales. En Mer Méditerranée les spécimens sont de moindre importance et leurs poids tournent généralement autour de deux cents kilogrammes.


(4) Johnny Weissmuller. 1904-1984. Trois médailles d’or aux Jeux Olympiques de Paris en 1924 et d’Amsterdam en 1928. Premier nageur au monde à descendre sous la minute aux 100 mètres nage libre (58’’6/10). Détenteur de 26 records du monde. Il fut le sixième et le plus célèbre “Tarzan” du cinéma : onze films entre 1932 et 1948. A partir de cette date, la firme Columbia lui donne le rôle titre dans une série de neuf épisodes “Jim la Jungle” avec George Reeves (Superman version 1954) succédant à Grant Withers qui interprétait depuis 1937 le rôle du héros de la BD créée par Alex Raymond. Il tourna par la suite une vingtaine de films de “série B”.

(5) Le mot “corde” est banni du vocabulaire marin car “ça porte malheur”. Cependant il en est toujours question  lorsqu’il s’agit de “la corde du pendu” et de “la corde qui agite la cloche”.

(6) Jesse Owens. Quatre médailles d’or aux Jeux de Berlin en 1936. Vedette du film mythique “Les Dieux du Stade” de Leni Riffensthal.
  

Je vous l'ai dit : C'est dans le journal ! 

Le monstre sur le quai du nouveau port de Saint-Tropez.

 

 
                                                                     La Bravade à Saint Tropez                                                                           sur la Place de l'Hôtel de Ville.
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Claude GAVORY
   dit  " Mac-Gavor ".  

0091-Claude-GAVORY.jpg                                                                                              
                                                                        

                                                                                  Charles BATTISTI                                                                           dit " Le Vieux ".

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Un petit poulpe timide.
1450-Petit-POULPE.JPG

   

Un Poisson-Lune
du Musée Océanographique de Monaco.

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                                   IL SE PASSE TOUJOURS QUELQUE CHOSE À SAINT-TROPEZ

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6 novembre 2010 6 06 /11 /novembre /2010 00:06


TRISTE   PLONGÉE


                                                                          La seule vrai tristesse
                                           est dans l’absence de désir.

Charles-Ferdinand RAMUZ 

(Journal).


 

          Aux confins du Massif des Maures et du golfe de Saint-Tropez, la Baie de Pampelonne, blonde et joyeuse, vous propose l’une des plus charmantes plages de la Méditerranée.
              Dès les premiers jours de " La Saison ", entre le Cap du Pinet et le phare de Camarat on y sent bon le sable chaud... Les fragrances émanant des chèvrefeuilles et des pins maritimes se mêlent  au parfum délicat du lys des sables. La brise marine, dans sa bienveillante fraîcheur, fait de ce site tropézien un véritable petit paradis exotique.
             De subtiles senteurs de monoï s’exhalent en de pesantes bouffées d’une multitude d’apollons, d’éphèbes et de naïades dénudés, foule massive gorgée de produits huileux, cohue luisante à souhait sous le soleil. Bourdonnante comme un vol de mouches hors du rucher natal, immobile et stagnante près des flots, telle est la faune estivale, qui, chaque année à pareille époque, vient se ressourcer à la mer originelle...
               Néanmoins la Grande Bleue est assez peu pratiquée par cette gent bronzée : Juilletistes et Aoûtiens ne sont pas particulièrement sportifs... Seuls quelques rares doigts de pieds favorisés ont le privilège d’être conviés aux bienfaits d’une thalasso miniature.
              C’est pour une raison inverse, si l’on peut dire, que notre ami Alain avait installé sa caravane à “La Piboule ”, dans les sables d'un bosquet de mimosas ombrageant l’arrière plage de Mooréa. Son Zodiac, sa petite famille et lui-même, avaient ainsi toute la mer à leur libre disposition. Une position stratégique pour une famille de vrais sportifs.

            Surtout pour lui, plongeur invétéré, qui, chaque matin, devançant l’occupation des rivages marins par une foule envahissante, traînait son embarcation gonflable sur la grève jusqu’à atteindre les premières vaguelettes. Il trimbalait ensuite son pesant moteur Evinrude, ses blocs et son équipement de plongée. Inutile de vous dire que tous les jours, ses va-et-vient réalisés d’une   allure véhémente et sévère, réjouissaient le petit monde des plagistes du cru. Ils regardaient l'énergumène s’agiter avec une fébrilité inconnue des méridionaux. Sous leurs regards amusés mais néanmoins bienveillants, Alain se sentait un peu la vedette incontestée des lieux, aussi, d’un air satisfait prenait-il fièrement le large  avec son bateau en direction de Saint-Tropez ou de Cavalaire. Son but unique: l’exploration des fonds aquatiques ...

             Mais, il va de soi que ne connaissant aucun amer, les plus beaux sites sous-marins lui échappaient un peu. Bancs de sable et champs de posidonies, tel était pratiquement son lot de chaque jour. Mais il s’acharnait. Entre deux eaux , il palmait, solitaire, en ratissant du regard et de long en large les étendues marines ... Son Zodiac, relié par un bout à sa ceinture, n’était en fait qu’une remorque plus ou moins docile qu’il promenait de cap en cap et dont la volonté à bien le suivre dépendait du bon gré des vagues et du vent. De ces parcours subtils, il ne remontait à son bord qu’à regret, à vrai dire uniquement lorsque que le débit faiblissant  et sporadique de son détendeur, l’avertissait du manque évident d’air comprimé dans son bi (1). Heureusement, ce n’étaient là que balades peu profondes qui ne nécessitaient aucun palier de désaturation.
Néanmoins, l’espoir d’inventer une belle épave, grecque ou romaine mais surtout vraiment et totalement inconnue, transformait notre athlète en un forçat de la palme traînant son boulet, derrière lui, pardon je voulais dire son navire.
                  C’est au cours de l’une de ces expéditions, qu’avec mes amis, Michel Lévêque, Lulu Garcin et Bernard Laliève nous avons fait sa connaissance. Nous plongions au “ Sec Rousséou ” et depuis plus d’une heure nous avions remarqué la lente dérive en notre direction d’un pneumatique sans occupant. Ce vaisseau fantôme allait toucher notre poupe lorsqu’Alain fit surface sous nos regards surpris. D'une main, il s’accrocha au plat-bord arrière de notre Rocca.
                   Nous l’invitâmes à monter à bord, ce qu’il fit sans hésiter, empruntant notre échelle de coupé. Il paraissait fatigué mais néanmoins heureux ... sans doute satisfait de ne pas devoir se hisser à la force des bras sur le boudin rebondi de son embarcation. 
                    Tous les quatre, nous étions sur le point de casser une petite croûte, comme il était de bonne tradition lors chacune de nos sorties sur “L’Escalet” et tout naturellement, il fut de la fête.
               Sans nul doute, malgré son allure de farfelu inspiré, ce sympathique garçon,  étant un plongeur confirmé et de niveau III, ainsi que nous l'apprîmes, méritait mieux que d’arpenter sans fin les abords de la bronde (2)...    Aussi, dès la première bouteille de Tibouren éclusée, nous lui proposions de se joindre à nous pour sa sortie du lendemain.
                    Séance tenante, rendez-vous fut pris afin de se retrouver directement sur place. Nous étions restés sur site et lui indiquer les enseignures exactes, rien de plus facile : D’un côté, l’une des fenêtres du “Château de La Messardière” occultée en partie par la colline et de l’autre le sentier “Camille” dans la carrière de pierre en forme de virgule. Impossible de se tromper, d’autant plus, ajouta-t-il en riant, “que juste à proximité, j’ai remarqué un filet de pêche aisément repérable par son signal, une bouée à drapeau jaune”.
                   - Ciao, les gars ! A demain matin, nous crie-t-il en poussant la manette des gaz.
              Nous le regardions s’éloigner, fonçant droit sur la plage, lorsque subitement il fit demi-tour et revint vers nous à vive allure.
                 - Je serai sûrement sur place le premier, hurla-t-il sans ralentir son engin, lequel faillit nous heurter. Après un virage en dérapage, il se rapprocha à nouveau de nous pour confirmer :
                - J’en ai pour cinq minutes à venir ici, j’assurerai le mouillage. Allez, à demain huit heures ... sans faute !
              Toutefois, par politesse envers notre invité, nous sommes arrivés sur le lieux de rendez-vous bien avant l’heure  prévue. Nous avions relevé nos amers, largué notre grosse ancre sur le sable, non loin de la grotte sous-marine et... scruté en vain la baie... Aucun sillage annonciateur du Zodiac.
                Nous avons attendu fort longtemps. Vers neuf heures, un instant, nous avons pensé que c’était notre homme, qui, bizarrement, arrivait du fin fond de la “Tête de Chien”. Eh non, ce n’était pas Alain, mais vraisemblablement un amateur de pêche à la palangre, lequel s’immobilisa d’ailleurs un bon mille avant de nous atteindre.
                Il se faisait tard. De toute évidence, notre nouvel ami ne viendrait pas aujourd’hui ... nous plongerions sans lui.
                Effectivement, Lulu et Michel s’immergèrent. A leur retour, nous n’avions toujours aucune nouvelle de notre énergumène. Cela ne nous empêcha pas, Nanar et moi-même, de nous mettre à l’eau à notre tour.
               Trente minutes plus tard, installés sous le parachute, à trois mètres sous notre bateau, nous finissions tranquillement notre palier, lorsque le bruit déchirant d’un moteur en survitesse vint nous agacer les tympans en ronflant au-dessus de nos têtes.
               Nous faisons surface, agressifs... Quel est donc l'abruti qui ne respecte pas le pavillon de plongée ? Hein ? Je vous le donne en mille : c’était lui ! C'était notre invité ! Il semblait passablement affolé et les mots sans suite qu’il bredouillait se perdaient dans les sonorités du hors-bord. Comme toujours en pareilles circonstances, le fait de retrouver un visage connu apaise l’hostilité que nous pouvons ressentir à l’égard d’un quidam imprudent. Nous lui faisons signe d’arrêter son moulin.
                 Il se met à couple à notre bordage. Enfin le silence !
                 Nous partons tous d’un grand éclat de rire lorsque nous comprenons que le “pêcheur à la palangre” aperçu au loin, c’était Alain. Il nous précise que depuis une bonne heure et demie il  attendait notre arrivée en stationnant vers une bouée à drapeau jaune.
                  Il avait pris la mer en temps utile, fonçant un moment droit au large, puis il avait tiré sur la plage, malheureusement sans se soucier des indispensables points de repère. Perdu, mais prudent, à vitesse réduite pour mieux voir, il avait effectué de larges cercles. Belle manoeuvre : à la longue il avait  fini par repérer un filet... sans penser un seul instant que, durant la nuit, le pêcheur avait relevé son matériel pour le disposer à l’autre bout de la baie.
              Sacré Alain, va ! C’est beau la patience.
                   - Allez, à demain, même place, même heure !
                   - O.k, pas de problème !
                  Le lendemain, du plus loin qu’il nous aperçoit, notre énergumène se met debout sur son Zodiac assez instable dans le clapot. Il nous adresse de grands signes en agitant avec énergie son pavillon de plongée. Il le conserve à bout de bras jusqu’à notre arrivée près de lui.
                   Heureux comme un enfant qui sort de l'école, il est fier d’être arrivé le premier sur les lieux. Il fanfaronne :
               - Ohé les gamins, ça fait déjà un bon quart d’heure que je vous attends!  Aujourd’hui, j’ai fait gaffe !...
                   Oui!... Il avait balancé à l'eau son petit grappin, à priori au bon endroit, toutefois il avait omis de dégager l’anneau de sécurité de ce dernier, ainsi, il ne pouvait s’ouvrir pour se crocheter. De plus il n’avait  largué que trente mètres de bout, abusé par le fait que touchant le fond, pour lui, le mouillage semblait assuré. Malheureusement, la dynamique des vagues, si elle berçait son esquif, faisait aussi sautiller sur le relief du fond son ancre trop légère. En conclusion, poussé par le souffle d’une modeste brise de terre, il  subissait à son insu une dérive inopportune en direction du large. Maintenant son ancrage pendait dans le vide.
                     Nous sourions ...
                    Nous lui suggérerons de consulter le sondeur: moins soixante. Cette profondeur ne semble pas le gêner outre mesure,  Ce n’est pas notre sentiment mais le profil tourmenté du tombant nous intéresse car il remonte rapidement côté terre, aussi décidons-nous de revenir un peu à l’intérieur de la baie: ce nouveau site nous intrigue.
                     Moins trente cinq, notre ancre et sa chaîne filent rapidement vers le fond tandis que    notre ami relève son “fil à plomb” devenu inutile et amarre son bateau à notre taquet arrière.
                     Quelques instants plus tard, une première palanquée de trois plongeurs, s’immerge. Je reste en surveillance de surface avec Alain. Il s’active aussitôt sur son matériel et s’équipe hâtivement. Je lui signale qu’il risque de mijoter un bon bout de temps dans sa combinaison... Rien n’y fait... Pour conclure... (ou ne plus m’entendre) il enfile sa cagoule, s’assied sur son bloc et se cale le dos à la cabine. A mon avis, il entre en méditation, car, bras ballants, les yeux clos, la bouche entrouverte, il expire si profondément que, replié sur lui même, je le sens tout à fait amorphe sous le soleil. Laisse tomber... On dirait un "bienheureux".
                     Le temps passe, il m’inquiète: le voici maintenant qui penche mollement la tête sur le côté.  Déséquilibré, il bascule brutalement et heurte du visage le coin de notre glacière garde-manger. Le  résultat est immédiat, un authentique œuf de pigeon bourgeonne au-dessous de son œil gauche.  Énergique, je tente, sur le champ, de réduire les dégâts au minimum par l'application immédiate d'une compresse de glaçons sur la bosse.
                     C’est la minute de repos... sauvé par le gong... du k.o... heu ... de l’insolation.
                     Bon, il récupère, bredouille un mot d’excuse en parlant de maladresse, s’assied sur le bordage, et, pour se rafraîchir les idées ... se laisse glisser doucement dans l’eau, à la renverse...
                     - Bougre de couillon ! Arrête de me marcher dessus! Dis fada, c’est pas parce que je suis de Marseille qu’il faut me prendre pour la Cannebière.
                    C’est Lulu, qui surgissant des profondeurs,  exprime son mécontentement. Alain vient de lui tomber dessus ...
                     Vraiment il commence à faire fort "le vacancier"! Bernard et Michel ont regardé la scène du dessous en finissant leur palier, ils font surface à leur tour. L’incident est clos dans l’hilarité générale  lorsqu’ils montent à bord et que le touriste, la mine contrite, explique le coquard qui lui colore la face.
                      Lulu, tout en se déséquipant, nous adresse commentaires et recommandations :
                      - Ho ! Les minos ... inutile de trop descendre. A quarante les gorgones caméléons sont fantastiques. Vous allez voir un congre sous la roche de la grotte qu’il est grand comme ça et qu'il minaude avec une superbe mostelle ! Et alors je vous dis pas, les langoustes... on se croirait “Chez Camille(3) ! Qué belle plonge !
                    Le hasard fait bien les choses n’est-ce pas ?
                   Il ajoute:  - Ah! Que je te dise, "Cousteau" (4), tout au fond, j’ai aperçu une jolie nacre (5), elle est dressée juste à côté du mouillage. Énorme... alors fais attention quand tu iras désenraguer l’ancre, magnifique comme elle est il serait grand dommage de la briser,  elle doit encore grandir.
                       - Pour sûr que je vais te la sauvegarder, ta  “pinna gigantica”, mon cher Lulu.
                       Dernier briefing avec Alain. Il souhaiterait descendre en tête de la palanquée. Ok, c’est parti, il saute le premier et disparaît immédiatement dans le bleu. Sans délai je le suis. Je l’aperçois qui file comme une gueuse vers le fond, les bulles d’air “bien dans la raie des fesses”.
Hé ! loufoque mais étanche mon compagnon, pensais-je. Il me le démontre en fonçant droit sur l’ancre. Très bien, il va se charger de déplacer la chaîne pour protéger la magnifique nacre signalée par Lucien.
                         Horreur ! L’Affreux... mais que fait-il ?
                        Je le vois qui saisi le bivalve à deux mains et le secoue vigoureusement de droite à gauche jusqu’à  le décrocher du sol... un véritable forcené.
                      J’arrive sur lui. Trop tard ! Courroucé mais inutile, je lui manifeste mon mécontentement avec vigueur en agitant à hauteur de sa joue ma main droite grande ouverte:                 
                         - Tu mérites une bonne gifle! 
                         Lui, radieux, me brandit sa victoire à bout de bras, et, sans prêter attention à mon geste   de menace, il va déposer son coquillage un peu plus loin sur la roche. Satisfait de son exploit, dans une révérence inspirée par sa flagornerie, il me propose en grand seigneur de prendre les devants.
                         Je ne vous décrirais pas la plongée. Nous atteignons moins cinquante mais, pour moi, le cœur n’y est pas. Et puis, à cette profondeur, ça ne dure jamais très longtemps.
                         Nous voici donc de retour au mouillage et Alain me regarde faire. Avec précautions, je dégage l’ancre et  j’y accroche mon parachute de palier. Je gonfle ce dernier, tout juste ce qu’il faut pour aider au décollage et j'aide l’ensemble à s’élever lentement du fond vers la surface tout en gérant le volume de mon gilet stabilisateur.  Quinze mètres environ de remontée sont ainsi parcourus. Encore quelques coups de palmes et j’atteindrai la boucle que forme maintenant la pendille du mouillage que je devine dans l’eau trouble. Mon acolyte me suit juste au-dessous de moi. Tout va bien. J’arrive à la hauteur de la chaîne et m’en saisis d’une main.
                      Subitement, je me sens tiré vers le bas. C’est Alain. Accroché à ma palme, il témoigne d’un certain désarroi.  A plusieurs reprises il pointe son index avec insistance en direction du fond. 
                     Quoi ?... Un requin ?...
                     Mais non !... L’imbécile !  Y'a que lui pour faire un coup pareil, je vous le donne en mille :
Il a tout simplement oublié sa nacre sur le sable !
                       Les avant-bras en croix de St André, je lui fais le signe “terminé ” et j’insiste, pouce levé à plusieurs reprises, je lui intime l’ordre de poursuivre l’ascension. Pour toute réponse il purge l'air de son gilet. Il se laisse redescendre en position debout et me regardant, il me fait un magnifique bras d’honneur. Nous avons légèrement dérivé ... Je lui indique quand même le bon cap. Calmement, il se met à palmer pour aller récupérer son bien. Si je veux éviter qu’au retour nos paliers soient de durées différentes, il ne me reste qu’à le suivre. Je lâche donc le mouillage et le rejoins.
                        Je ne suis pas content du tout. Alain le comprend aussitôt à ma façon de le regarder. Alors, dans un geste de paix, tenant son trophée sous un bras et éloignant son détendeur de ses lèvres... il m’adresse une bise en agitant la main...
                        Quel salopard !
                        Bon, suffit, on remonte effectuer
nos paliers.
                       Cependant, libéré de son ancrage “L’Escalet ” a dérivé hors de notre champ de vision. Ne voyant plus nos bulles dans sa proximité immédiate, Monseigneur, compréhensif, fait vrombir son moteur pour nous guider au son. La solidarité des gens de mer... c’est également ça.
                        Allez ... Une dizaine de coups de palmes dans la bonne direction et je repère le bloc de sécurité qui nous attend au pendeur. Ouf ...! Paliers tranquilles à l’abri sous notre bateau. Quelques minutes plus tard, décontractés et dessaturés,  nous émergeons enfin.
                         - Alors, les gars , qu’est-ce que vous foutez ?
                        Bernard posait la bonne question. Une heure dans la flotte, ça intrigue.
                        Bref, en macho confirmé Alain brandit sa prise hors de l’eau et crie victoire :
                        - Formidable, j’ai eu bien de la  peine, mais je l’ai eue  !
                       Incroyable, il n’a rien compris. Que lui dire ? Pour l’instant, je me contente d’un bref “Basta, allez monte !” qui le fait se retourner vers moi, l’air surpris. Puis souriant :
                       - Heureusement, t’étais là l'ami, sinon elle était perdue. Merci mon vieux ! Super, elle fait au moins quatre-vingts centimètres de haut. C’est rare de trouver une belle “applique” de cette taille (6), surtout à cette profondeur (7). Je la vois déjà à la maison, éclairant un coin de mon salon... Ça, c’est de la décoration!
                       L’infâme, il persiste... et signe !
                      Alors que penché sur le bastingage, Bernard allait se saisir de la nacre présentée à bout de bras par Alain, celui-ci, en s’esclaffant, fait demi-tour.
                      - Non, non, pas de ça gamin, elle est pas t’à toi. Pour la mettre en sécurité, je vais aller la planquer dans mon bateau à moi.
                
                   Zzziiiiippp ! Pchhhhhiiiiiiiii !!!

                Le maladroit a glissé et est tombé malencontreusement dans son Zodiac avec son trophée. Telle une lame de rasoir, le tranchant du coquillage vient d’éventrer le boudin gauche du Zodiac. Une longue déchirure, plaie béante, a transformé d’un souffle la frêle embarcation en une épave lamentable. Pourtant, il flotte encore.
                      - Merde! C’est tout moi, ça ! s’exclame-t-il. Je sais vraiment tout faire, même un naufrage ! Sacrebleu, je suis un sacré pirate. Vous voyez, absolument rien ne me résiste... Il ne croyait pas si bien dire... le flibustier!
                      La justice immanente n’est pas un vain mot ... Passons ...
                      - Une chance pour nous, ma cave est sauvée de l’explosion... ajoute-t-il en riant. Il s’empresse de récupérer ses bonnes bouteilles à son bord avant de nous rejoindre.
                      Enfin il conserve le moral. Que pouvons-nous lui exprimer maintenant ? Il nous semble suffisamment puni par où il a péché.
                      - Bon, alors, ce p’tit mangement, on s’le fait les gars? Les émotions, ça creuse, vous    n’direz pas le contraire? Faut pas se laisser aller et j’connais un truc pour se remonter le moral déclame-t-il en se saisissant de son tire-bouchon. Passez-moi les munitions, bon appétit, messieurs et à votre santé!
                      Il a raison, nous passons aux agapes et attaquons nos vivres. Une demi-heure plus tard, Alain le Fataliste, péremptoire, nous annonce à brûle pourpoint qu’il a pris la décision de regagner la côte par ses propres moyens, et surtout sans notre assistance.
                       - Je me targue d'avoir toujours été un homme seul, hier comme aujourd’hui, et  croyez-moi, j’assume !
                       Pourtant le Zodiac est bien loin d’avoir fière allure avec son boudin flasque et hors de service. Mais, il faut le reconnaître, bien que bancal, le radeau flotte toujours.
                       Réflexion faite, à vitesse réduite, tenter sa chance est sans grands risques et peut amplement satisfaire son besoin impératif d’aventures.
                       - Je ne m’attarde pas, les gars. Il va falloir que j’aille rapidement en ville pour acheter un nécessaire complet de réparation: un grattoir, de la colle et une super-grande rustine. Sans aucun doute, je passerai ensuite vous voir à une heure intelligente... ce soir, chez vous vers dix-neuf heures.
                       - Santé ! Les verres se heurtent joyeusement, une dernière fois.
                       Le festin étant achevé, c’est sans aucune appréhension que nous voyons ce capitaine  indomptable quitter fièrement notre bord. Il s’en va, avec la prestance d’un héros antique, vers le littoral...  à petite allure et la fin de l’histoire.
                       Malgré sa promesse, nous n’avons point revu notre gaillard de la soirée. Idem le      lendemain, ce qui nous a laissé tout le loisir de supputer, en riant, les possibles sinon probables  péripéties inhérentes à la réparation de son bateau. Au cours de la matinée suivante, surpris et quelque peu inquiets de son silence, lors de notre plongée quotidienne nous questionnons par radio le sémaphore de Camarat. La vigie nous rassure immédiatement: aucune disparition en mer n’a été signalée ces jours derniers dans la région.
                        “Allez, soyons sympas, dès cet après-midi, nous irons tous ensemble voir Alain à son camping. Il a peut être besoin de nos services pour la réparation de son engin... ou peut être même pour sa remise à flots. Il ne doit pas oser nous contacter. Le pôvre, on ne va pas le laisser tomber!”
                       Sur le coup de seize heures, alors que nous allions quitter la route de Ramatuelle afin de rejoindre le chemin menant à "la Piboule", une DS rouge, arrivant de Saint Tropez à vive allure, nous grilla la priorité et s’engagea sans ralentir sur la “piste Jassaud”. Nous nous engageons derrière elle à vitesse réduite en brinquebalant au jugé dans le nuage gris et opaque digne du Dakar qu’elle soulève. D’ornières en nids de poules, nous tanguions un maximum en nous cramponnant aux montants du 4x4. Vraisemblablement la voiture qui nous précède est pilotée par un de ces Parisiens qui foncent à tout va . Mais à bourlinguer dans cette poussière, notre visibilité ne devait pas excéder celle d’un jour de fog dans les faubourgs de Londres.  Donc, prudence : Avec de telles conditions atmosphériques locales, il est préférable de ralentir et surtout de se laisser distancer pour y voir un peu mieux.
                        Bien nous en a pris, car arrivant au dernier virage avant le campement de notre ami,  face à l’entrée de “La Vigneraie”, ferme viticole bien connue, nous rattrapons brusquement la voiture qui nous précédait car elle est arrêtée en travers du chemin. Une fois la poussière dissipée par la brise nous découvrons, solidement campé devant son capot, un individu hirsute en pantalon de velours qui gesticule avec véhémence. Ce vénérable vieillard aux cheveux blancs en bataille est armé d’une antique pétoire de braconnier qu’il braque avec une vigueur toute méridionale en direction du Parigot  pétrifié de peur derrière son pare-brise.
                         Lulu stoppe son Toyota.
                         Misère ! Le Parisien ... c’est notre disparu ! Dans quel guêpier s’est-il encore fourré ?
D'un bond, Lucien s’interpose entre les antagonistes. Lissant d’une main sa moustache de gendarme (8), de l’autre il détourne avec dextérité le vieux fusil du paysan  et proclame :
                        - Halte au feu !
Ouf, la tension baisse.
                        - Hé bé... mon bon Paulo, qué se passe ?
                        - C’est ce fi-de-pute de tourisse. Ce demi-fou, ce va-et-vient... ce parisien de mes deux !... et, reprenant son souffle : Que de toute la journée, depuis trois jours, il nous escagasse et nous enfumasse de toutes les poussières... ce bougre de casse-couilles, ce fouteur de m... mais attention... Que je vais te le pulvériser, moi !
                       - Je te comprends, Paul, je te comprends! Mais, j’y pense... n’est-ce point là ton locataire du carré de mimosas ?

                    - Pardi mon brave , que je le connais ce sacré couillon : c’est le navigateur, je le reconnais ! Vé tu peux me croire, je venais ici tout esprès pour le rencontrer.

                   - Écoute un peu Paulo et laisse-moi faire. Pour sûr que je vais te le calmer ton agitateur de poudre... Rentre donc chez toi, sois tranquille ! 
                      - Hé bé vois-tu, petit, je te fais confiance ! De ce pas, je m’en retourne illico étudier le résultat complet des courses à la TSF.
                     L’incident est clos. Alain, blême, est resté sans voix, soudé à son volant. Notre médiateur prend place à côté de lui et l’incite à repartir. Nous rejoignons au ralenti l’aire de camping de l’aventurier. Le visage crispé, il s’extrait laborieusement de son véhicule et rejoint avec difficulté le auvent de sa caravane. Bizarre ! 
                     - Un petit coup de rosé bien frais s’impose mes amis. Asseyez-vous! Marthe - je vous présente mon épouse - voici mes bons copains plongeurs.
                     Se tournant vers elle, il lui adresse ces quelques mots qui nous surprennent:
                     - Chérie... Veux-tu avoir l’obligeance de me retirer mon tee-shirt?
                   Alors, d’un mouvement rigide du buste, rappelant à s’y méprendre la salutation germanique d’un Erich von Stroheim (9) de banlieue, il se penche vers sa "chérie". Avec mille précautions elle le déshabille puis déroule la large bande de tissus dont il est ceint .
                   Stupéfaction, c’est le corps d’un véritable supplicié au knout (10) qui apparaît. De la nuque à la ceinture, son dos est couvert de balafres entrecroisées. Certaines, les plus larges, sont jugulées par des catguts, travail de professionnel à coup sûr. Le tout est agrémenté d’un rutilant badigeon rouge mercurochrome du plus bel effet dramatique.
                     Il faut vous dire, mais peut-être l’aviez vous déjà remarqué, Calamity-Alain ne fait rien à demi, et, dans la série catastrophes, il peut monter sur la plus haute marche du podium... Sans avoir à rougir, si l’on peut dire... Pardonnez-lui !
                     Nous sommes stupéfaits de le voir en si piteux état. Interdits, nous ne savons que dire: Quelle catastrophe a bien pu s’abattre encore sur lui? Compatissants, nous retenons le sourire qui nous accable alors que nos regards qui se croisent en disent long sur nos pensées.
                    Sentencieux, le blessé prend la parole :
                    - Ne riez pas, les gars. Vous savez, les accidents, ça n’arrive pas qu’aux autres... 
Et de nous conter le dernier épisode: Alain, le Retour.
                    Le rapatriement de l’engin jusqu’à la côte avait été un peu longuet, mais sans véritables soucis. Sous la chaleur accablante d’un soleil sans pitié, il avait retiré sa tenue de plongeur pour ne conserver que son slip de bain, ainsi il sentirait beaucoup plus à l’aise pour charrier son matériel.
                    L’arrivée sur la plage de Mooréa de cette épave évoluant avec difficulté parmi les yachts somptueux et les cigarettes de luxe fut très remarquée par la foule et grandement appréciée par les enfants. Ils avaient même applaudi l’exploit: un capitaine reste son à bord tant que flotte son navire.
                    - Monsieur ?... Monsieur ?...
                   Les questions fusaient, les gamins voulaient tout savoir... Leur aide lui aurait été précieuse mais il est vrai qu’il n’était pas d’humeur à les supporter. Il maugréa entre ses dents et les écartant,  d’un geste il s’attela à l’ouvrage.

                 

Précaution première, sauvegarder son inestimable coquillage et le tenir hors d’atteinte  de tous ces jeunes écervelés, le déposer loin de la foule, dans l’herbe, à la lisière du sable... Là, c'est parfait!
               Après avoir désarmé son canot et entreposé tout son attirail près d’un groupe de baigneurs indifférents, il s’essaya à hisser son épave sur la plage. Dur-dur de jouer seul les bateliers de la Volga sous le soleil de la canicule! Peinant comme un forçat, tout en marchant il répétait de droite et de gauche: pardon monsieur... pardon madame... Veuillez m’excuser... un peu de place...  laissez passer s’il vous plaît... attention... merci... merci!
                     Passe encore de tirer, mais parler... de surcroît...
                    S’étant arrêté un instant pour souffler et réfléchir, la bonne solution lui était apparue, simple et lumineuse : s’il ne voyait plus les gens devant lui à l’évidence il n’aurait rien à demander. Sa seule préoccupation serait alors d’avancer en marche arrière. Gagné ! De plus, cela lui permettrait de mieux soulever son fardeau qui aurait ainsi une moindre portance au sol d’où une meilleure glisse.
                      Bravo ! La foule compréhensive s’écartait à son passage, comme prévu. Sans un mot il progressait à reculons.
                      Ouf ! La traversée de la plage se terminait. Du coin de l’œil il louchait sur les premières taches de verdure.
                      Cherchez l’erreur... Un cri déchire l'air stagnant de la côte !
                      Dans sa marche aveugle, sans aucunement s’en rendre compte, Alain venait de poser   son pied nu sur la précieuse nacre. Éclatant de toutes parts, dans une ultime réaction de défense, le mollusque réussit à faire glisser et choir son tortionnaire à la renverse. Les jambes de l’abominable escogriffe se dressant brusquement vers le ciel, son dos fut irrémédiablement plaqué au sol et dans un fracas de tempête il écrabouilla  avec violence et sans rémission l’innocente victime.
                      Vexé comme on peut l’être lors d’une chute sans gravité devant témoins, le maladroit se releva prestement d’un bond.
                     Il se félicitait déjà de sa dextérité à réagir lorsqu’il dû se rendre à l’évidence, l’irrémédiable venait de se produire: un véritable massacre, rien ne subsistait de la superbe coquille si ce n’est de médiocres éclats tranchants et gluants épars dans les herbes.
                      Il n’avait pas tout vu. Et pour cause ... son dos lacéré en tous sens par les tessons nacrés, n’était plus qu’une vaste plaie sanguinolente ... Ni d’ailleurs rien ressenti sur l’instant...
Vinrent à la suite, douleurs, docteur, clinique, infirmière, piqûres et sutures. Bref, le grand jeu, comme il est de coutume avec ce phénomène !
                 Mais la bête est dure.
                 Surtout, pas question de se faire soigner à domicile... “ L’hosto c’est pas fait pour les chiens”, d’où les “ va et vient ” journaliers intensif et rapides effectués joyeusement sur la tôle ondulée de la “Piste Jassaud”... et pour  conclure, “ l’attaque de la diligence ”.
                     Le rosé des “Maîtres Vignerons de Saint-Tropez”, frais et gouleyant, est là pour nous ramener à la dure réalité de la vie et nous permettre de constater l'évidence :
Il n’y a véritablement que “ lui ”, se sacré bougre d'Alain, qui soit un “ authentique accident ”. 
                      Bien sûr !
                      A votre bonne santé, mes Frères !

           
(1)  Ensemble de deux bouteilles d’air compressé réunies en un seul réservoir.
 
(2)  Conglomérat de sable et de rhizomes de posidonies démarquant la limite des herbiers.

(3)  Restaurant réputé, reconnu comme spécialiste de la langouste et de la bouillabaisse.

(4)  C’est moi ! (avec mon bonnet de laine rouge).

(5)  Pinna Nobilis. Coquillage bivalve, ressemblant à une moule ... de grandes dimensions.

(6)  Peut atteindre 90 cm à 1 mètre de hauteur et 35 à 40 cm dans sa partie la plus large.

(7)  Vit généralement plus près de la surface, entre -10 et -30 mètres.

(8)  Lulu (Lucien Garcin) à été gendarme dix-sept ans à la brigade de Saint Tropez.

(9)  De son vrai nom Erich Oswald Hans STROHEIM von Nordenwall,  dit “ L’homme que vous aimeriez haïr”. (1885-1957). Grand metteur en scène et acteur célèbre d’origine autrichienne. Il interpréta de nombreux rôles d’officiers allemands avec succès, tant en Europe (la Grande Illusion avec Pierre Fresnay) qu'à Hollywood notamment dans “Five graves to Cairo” ou il incarne le général Rommel surnommé “le Renard du Désert”.

(10)  Fouet russe à plusieurs lanières de cuir, utilisé autrefois dans les punitions corporelles.

 La Plage de Pampelonne,

entre le Cap St Tropez et le Cap Camarat.

0003-7411 Presqu'île St TROPEZ

 

Petite nacre.

1443-Petite-NACRE.jpg

           
 

Pinna nobilis

0324 Grande NACRE



Lulu " Le Pacificateur ".

0001-LULU-G-jpg

 

" Il faut que je vous dise :

Ne croyez surtout pas que PAPYCOUSTEAU soit un affabulateur.

Cette histoire est véridique, je m'en porte garant.

D'ailleurs, vous qui le connaissez, vous le savez parfaitement

et je le confirme ici pour les autres, toutes les souvenirs qu'il évoque

sont réellement de vrais récits qu'il écrit ou raconte pour notre plaisir. "

                                                                           Lucien GARCIN  (De l'au-delà).

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2 mai 2010 7 02 /05 /mai /2010 23:11
APRÈS  LA  PLONGÉE
 
ou
 
COMMENT   NAISSENT

LES   POTIONS

MAGIQUES





                                                                                          ... car elles réjouissent l’estomac !
                                                                                         

                                                                                  Anthelme BRILLAT-SAVARIN.

            
 

          Avant toute chose, je tiens à vous dire, mes Amis, que les Plongeurs, les vrais, les “comme on n’en fait plus”, les durs, les ceusses qui ont connu les horreurs de la soif après la plongée (ou à l’heure du Ti-Punch), seront seuls autorisés à participer au nettoyage du chaudron par assèchement. Jusqu’à la dernière goutte, tout doit disparaître à seule fin que le bouillon de cette incroyable alchimie ne puisse, en aucun cas, être analysé par une Ligue antialcoolique quelconque.
          Ainsi, entre nous, restera le secret du PAPYRUSSE, ce nectar dont le nom évocateur de mystères est aussi trompeur que la suave et troublante douceur due à son élaboration machiavélique.
         Quant aux autres, qu’ils se contentent de lire ces quelques lignes en leur souhaitant d'en apprécier le contenu.
           C’était “antan-lontan”...  à Saint-Tropez...!
         Nous rentrions au port après une expédition nocturne de plongée au Sec de La Sèche à l’huile, dont la curieuse dénomination, d'une sobre aridité, semblait déjà prédestinée à sonner l’alarme... Notre bateau, " L’Idéal " frappa ses amarres à l’instant précis où l’horloge de l’église se mit à égrener sur les toits du village la fuite immuable du temps :
           Minuit !!!
          Dans l’inquiétante moiteur de cette nuit du mois d'août, émanant de l’ombre propice du gaillard d’avant, une voix innocente se fit  clairement entendre
         - C’est déjà demain ! Eh les gars, ça s’arrose, pas vrai ?
        - Oui ! Oui ! répondit l’écho ! (À moins que ce ne fut le chœur bien orchestré des épouses rassemblées sur le célèbre Banc des Menteurs du môle Jean Reveille qui, suivant la geste ancestrale, étaient dans l'attente nerveuse et coutumière du retour à terre de leurs marins de maris... partis... en mer).
          Vous savez combien il est difficile de dire NON. Toujours ! Car dieu sait si cette brève locution facilite la vie, le "non” crée surtout des mécontentements ....
          Me voici donc sortant verres, tasses et gobelets de la cuisine, une bonne quinzaine... des petits, des grands; il en faut  absolument pour tout le monde.
           A la suite de quoi, je replonge dans les bas-fonds... du placard à carburant. Damned ! Il est vide !
           Pas la moindre petite canette de bière en vue. Disparues les boutanches de vieux Rhum Agricole et de Ratafia des Îles ... évaporé le Whisky Irlandais et le Vrai Pastis de Marseille. Je peux vous l’assurer, une véritable désolation, un authentique désert. Sauf, il faut le dire, un unique flacon de Gin. Le solitaire est là depuis la saison dernière, sans aucun doute abandonné un British amnésique, client sans aucun doute imbibé de rosé de Provence. Ce peu, c’est tout ce qui reste à bord ? Vraiment ?
          Voyons voir ! Quoi ?  ... Oui, j'entends comme un faible bruit de roulement et de bizarres et indistincts petits chocs. Ils me semblent provenir du placard. Je m'empresse d'ouvrir le casier et là, comment vous expliquer, je vois un objet cylindrique de métal qui tangue au gré du roulis. Ça, de l'alcool... que nenni : un vulgaire bidon de sirop de pêche ! Quel sale temps pour notre réputation. Allons, pas de panique. C’est dans les grands moments... qu’il faut se hisser à la hauteur de l'évènement et trouver LA solution.
A moi de jouer ;  “ Concentration ! Vision !!  Exécution !!! ” (c’est ma devise préférée).
          Tout en réfléchissant,  j’aperçois par le hublot notre voisin de bâbord le plus proche, “Le Lumignon”, un solide barque de pêche à voile latine.
      Son propriétaire, au patronyme prometteur de "Cliquot " est un ancien scaphandrier pied-lourd en retraite. Chaque après-midi d’été, il arrive vers dix sept heures et monte à bord de son vieux "pointu " afin d’y parfaire sa sieste journalière. Tel un sage, il profite de ces instants de liberté pour se délecter d’un excellent petit vin rosé bien frais : un “médicament” qu’il soutire d’une dame-jeanne rondelette dissimulée en cale sous un lot de filets toujours humides.
        Je connais la cachette de la tourie, car, souventes fois, Cliquot m’a fait l’honneur de m’inviter à savourer en sa compagnie ce “Tibouren” gouleyant de Ramatuelle et de bon aloi.
          “ Gosier sec n’a pas de conscience ”!
        Tel un flibustier, je passe à l’abordage et je m’empare prestement de la précieuse bonbonne clissée.
        Vraiment, il y a des jours où tout vous boude !!! Je vous jure, elle est volumineuse, mais bien légère ... presque vide me semble-t'il.
         C’en est trop ! Je dirai même “trop peu”, car malgré une impressionnante cargaison de glaçons disponibles à bord, le volume final ne sera pas à la hauteur de la "descente" envisagée.
          Black-out total (version originale sous-titrée: je ne dis pas un mot) mais je fais travailler mes méninges.
          Eurêka (c’est du grec ancien: j’ai trouvé !).
         Oui, un trait de génie ! Breuvage miracle, soit béni des dieux : si c’est pas bon, "y’en" aura assez (beurrrck !) et si c’est bon, "y’en" aura aussi assez (dis donc, c’est costaud ton truc !).
        Avec mon précieux butin, je regagne L’Idéal et sa cambuse, alors que sur le pont la révolte gronde... les plongeurs parlent de débarquer ...!
         - Hé ! ... Attendez les gars !
         Dans l’ombre du carré, bien à l’abri des regards inopportuns, j’officie:
         Vaste récipient en aluminium type pot-au-feu, gin, sirop, rosé, glaçons, louche, mixage, essais divers : Gloup!... Aah!... Gloup-gloup !!... Ah-Aaaaaah !!!  Parfait, à ne pas en douter c'est du “Ké-bon” !
         O.k ! It’s good !” (traduction de c’est bon in English language). Allons z'y !
        Tout sourire, je surgis sur le pont et de la voix de stentor que vous me connaissez, triomphant et très solennel, j'annonce :
          - Mesdames et Messieurs, j’attire votre amicale attention : Ceci est une première,  alors, écoutez bien mon discret conseil : Petit godet, bonne médecine !... Modeste gobelet, très bonne médecine !!    Grand verre, très très bonne médecine !!!
          Et c’est la vérité car, ainsi que le disait Jacques Prévert et le chantaient si bien Yves Montand et les Frères Jacques ... depuis ce jour... la Fête continue (air connu).
          Les festivités succédant aux  fêtes, ou l’inverse, on ne sait trop que dire, j’ai affiné la recette.
          Un succès véritable, vous pouvez m’en croire. D’ailleurs je vous conseille de vous y essayer. Je le sens, la totale réussite est à votre portée. Pour cela, il vous faut suivre ma méthode à la lettre.
         Attention, si d'aventure l’élaboration de ce cocktail par vos soins a lieu en présence de vos hôtes, vous devez agir avec la rapidité requise afin d’en noyer le secret dans le débit et la profondeur de votre conversation. Votre prestige en sera renforcé, c’est moi qui vous le dis.
          Voici donc la procédure aussi simple qu’étrange qui ne souffre aucune dérogation, faute de quoi, le " Papyrusse " ne sera pas ce qu’il doit être.
1° Prenez un vaste récipient. Exemple : cocotte minute,  profonde bassine en alu, imposant saladier en plastique ou mieux traditionnel couscoussier.
2° Versez dans l’ordre, impérativement :
         - Les trois quarts d’un bidon de sirop de pêche blanche (elle est plus goûteuse) de 75 centilitres, “qualité Teisseire”.
        - Les trois quarts d’une bouteille de Gin of England d'une contenance de un litre et titrant minimum 37°5 ( distillée par Alexander GORDON de préférence) ou à la rigueur la totalité d'un flacon de 75 centilitres mais en l'occurrence vous ne disposerez d'aucun "petit plus" disponible pour corser certaines doses individuelles.
          - La totalité des quatre litres d’un bon vin rosé de Provence.
          3° Immergez un bel iceberg dans la mixture, type cube pain de glace.
        4° Remuez le tout avec une louche en tournant vigoureusement dans le sens des aiguilles d’une montre (zone nord de l’équateur) afin de créer un spectaculaire tourbillon genre maelström qui réjouira la vue de vos invités.
        5° Ne laissez pas réchauffer plus de cinq minutes, sinon le mouillage sera trop élevé.
      6° Déposez deux glaçounets dans les verres “à boire” que vous devez prévoir larges, profonds et solides (ce dernier détail si vous portez des toasts).
      7° Versez avec dextérité le breuvage à grandes louches dans chaque verre.
          Recommandation finale: Boire frais et vite !
Et pourquoi “vite” me direz-vous ?
Ben voyons, pour que ça reste frais, bien sûr !
       Par plaisir, l’on peut éviter d’économiser le gin et la pêche. Au quel cas, faites comme moi, forcez sur l’alcool et le sirop dans la première gamelle. Pour les suivantes, le strict nécessaire  suffira amplement, croyez-moi.

         Ah oui ! Mais pourquoi “PAPYRUSSE”?                                                                  

Eh bien, à vrai dire, je ne pouvais évidemment pas faire à moins que d’exporter depuis les quais de la Cité du Bailli de Suffren cette jubilatoire et réconfortante prescription pseudo-médicale dans la région bien terrienne de Montargis, là ou les plongeurs, mes vieux copains, me surnomment “Papy”. Et puis, avec Wanda, ma plongeuse favorite et néanmoins épouse unique et préférée, nous avons la bonheur d’avoir un petit-fils au prénom, typiquement russe - Aleksandr - qui rappelle sans aucun doute nos origines slaves. L’assimilation fut vite concrétisée... Jugez-en :

Au cours de la réalisation en grandes pompes d’une cuvée spéciale "Baptême de plongée en Piscine” organisée par le simili quasi-authentique druide ou reconnu comme tel, votre humble serviteur, j’officiais en présence du fameux Clan des Plongeurs Orléanais au logo bien connu d’EVP (Eau Vive et Plongée... ou Pastis... on ne se souvient pas trop !). Après avoir amplement testé les qualités festives de mon breuvage, tous les nouveaux initiés me portèrent un toast et applaudirent en cœur la création de ce “sacré Papy Russe” : le nom de la Potion Magique était offert à la postérité.   

          Alors, mes Biens Chers Frères, mes Biens Chères Sœurs,
          il ne vous reste dorénavant qu’à distiller  à votre tour
...
Excusez-moi, mes Bons Amis ... Je voulais dire :

À votre bonne santé !


Tradition
Distribution de Papyrusse
aux plongeurs de L'IDÉAL
sur le quai du Vieux port de Saint Tropez en 1983.
 
 
J'espère bien sincèrement
que vous allez tenter l'aventure du PAPYRUSSE à la première occasion venue.
Alors avec vos copains, vous porterez un toast
à la santé de PAPYCOUSTEAU, vieux plongeur des terres du Gâtinais.
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27 mars 2010 6 27 /03 /mars /2010 00:57
PLONGÉE SOUS-MARINE
 
ET  
 
VISIONS


 

Je l’ai vu, dis-je,vu, de mes propres yeux vu.
Ce qu’on appelle vu...

                                                                                          Jean-Baptiste POQUELIN  dit  MOLIÈRE                                                                                                                (Le Tartuffe).


                    

                     En Guadeloupe, sur la côte Ouest de la Basse-Terre, la Baie de Malendure est particulièrement attractive.                           Tous, enfant ou adulte, chacun y trouvera sont agrément : le bambin y barbotera à loisir, l'adepte du bronzage y trouvera soleil et ombre sous la protection des cocotiers, le randonneur arpentera la forêt primaire sous l'œil admiratif de photographes et autres amateurs de paysages tropicaux. l'amateur de kayak pourra y pagayer mais plus encore parmi les activités maritimes les pratiquants de plongée en quête d'aventures sous-marines seront satisfaits. 

             En plongée, le bleu sombre de la Mer des Caraïbes se révèle inquiétant dès que vous excédez la profondeur d’une quarantaine de mètres et que quittant le paysage corallien, votre regard se porte vers le large. L’immensité sous-marine s'efface dans la pénombre des abysses insondables. Le désert de sable gris-fauve qui tapisse les fonds évoque désolation et tristesse. Cette impression angoissante de paysage lunaire persiste jusqu’à venir buter contre le socle rocheux des îlets volcaniques dénommés “ Îlets Goyaves ” ou “ Îlets Pigeon ”.
          Avec trois plongeurs chevronnés sur les talons, j’explore le tombant Nord des Îlets en progressant dans les profondeurs frôlant les quarante mètres.                                                                                   Je vais à la rencontre de la faille rocheuse qui s’élève vers la surface et qui démarque le site dit de "la bouée anticyclonique (1). Après avoir nagé un instant dans cette direction, j’oblique sur la droite. Quelques coups de palmes nous suffirons pour atteindre la grande fontaine d’eau chaude et cristalline qui jaillit au flanc du plateau corallien. C’est l’une des résurgences issue de ces torrents de montagne alimentés par les pluies tropicales sévissant de nuit, à longueur d’année, sur les hauteurs de Basse-Terre.
          Cette source se présente sous la forme d’une dépression du sol creusée au pied de la carène du récif. C’est un puits naturel d’un à deux mètres de profondeur et tout juste assez vaste pour recevoir deux plongeurs. Nombreuses sont ainsi les résurgences qui, à travers le sol tourmenté de cette région de Guadeloupe, se déversent en mer, en particulier aux alentours de nos îlets. Mais cette dernière est l’une des plus remarquables en raison de son débit, c’est La Curiosité de la Réserve Cousteau (2) qui surprend et intrigue les plongeurs les plus blasés.
           Survolant le puits, nous admirons un Gueule Pavée peu farouche. Cette jolie dorade argentée à reflets lavande et bronze est rejointe par un couple de Capitaines (trois épines dorsales) dont le blanc nacré vire au brun marbré de rouge à notre approche. Défiants, ils nous surveillent et évoluent en une ronde prudente autour du petit massif de corail nid d’abeilles qui agrémente le fond. Notre présence rompt le charme. Ils nous dédaignent et prennent la fuite.
           Sommairement sculptée par un spongiaire disparu, la patate corallienne qui se dresse devant nous ressemble à une gargouille jaunâtre érodée par le temps. Elle vomit vers le ciel un flux d’eau courante et tiède qui faseye et se dilue rapidement dans l'onde marine. A proximité immédiate, les souples tubes violines d’une grande éponge ondulent mollement au gré des pulsions du rejet.
           Avec précautions je me laisse descendre dans la fosse. Expiration, rétablissement en douceur, me voici installé à genoux sur le lit de sable blanc. D’un signe, j’invite l’un de mes compagnons à me rejoindre. Je lui saisis l’avant-bras et guide sa main nue vers l’orifice d’où jaillit une salve liquide. Je prévois sa réaction, l’eau légèrement chaude peut le surprendre. Je stoppe son geste de retrait. Il se retourne vers moi, interdit et troublé, puis d’un geste de son poing fermé à l’index pointé vers le haut, il me renseigne en confirmant d’un clin d’œil:
           - Oui ! Bien sûr, j’ai deviné !
           Il joint les mains en forme de V renversé puis les relevant brusquement en les dissociant, il esquisse le dôme de la montagne qui explose : le volcan !
           Effectivement, La Soufrière (3), en activité latente, Les Mamelles et autres pitons paisibles du paysage, tel Le Morne Louis dominant la baie de Malendure, subissent la pression du volcanisme  interne de l’île. Les bains chauds des Chutes du Carbet, Le Trou du Diable à Bouillante, sont les symptômes externes du feu central.
           O.k c’est gagné! Au suivant !
           Une plongeuse me rejoint.
          Volontaire, elle porte en hâte sa main dans le courant agité d’un singulier flot de bulles gazeuses. Mais aussitôt, avec une précipitation imprévue, elle l’en retire d’un mouvement brusque. Réflexe bien féminin…! Elle me regarde, mécontente. Allons…! Effet de surprise… ce n’est rien ! Je lui souris dans mon masque et comme elle me répond gracieusement, avec beaucoup de subtilité dans le regard je lui indique qu’elle n’a pas la manière :
           - Regarde-moi bien… et délicatement, j’étends le bras. 
           Aïe !!! J’ai moi aussi un brutal mouvement de retrait.
           C’est brûlant !
           En mon for intérieur je suis assez perplexe. Jamais une température aussi élevée n’a été ressentie en ces lieux !
           Je réfléchis ! Au-dessus de moi, on doit se gausser doucement.
          Avec prudence, j’avance de nouveau la main… et... l’y maintiens aisément. En peu de temps la chaleur s’est considérablement abaissée! De ce fait, chacun s’y essaie à nouveau, avec prudence, et s’en tire sans dommage, satisfait de l’expérience.
           Discrètement, je palpe le sol sableux du bout des doigts, puis la roche : ils sont joliment chauds… Singulière réalité ! 
           Pour des raisons de sécurité, il est temps d’engager le processus de remontée suivant un parcours minuté que je connais bien. Allez, en route vers la surface!
           Quelque vingt mètres plus haut, juste avant de rejoindre le platier, je savais trouver une autre source d’aspect différent . Nous franchissons une colonie encroûtante de larges pachyséris bruns aux vastes oreilles coralliennes dont les ombres superposées forment de précieux refuges aux langoustes, crabes et araignées. Curieux et sans méfiance, les crustacés regardent défiler notre caravane vagabonde et pressée… Puis, dans une cassure ensablée nous découvrons la seconde source. Plus petite, mais tout aussi intéressante que la précédente, elle nous retient un instant.
           C’est un véritable divertissement que d’observer ces petits poissons aux reflets gris-argent dont nous découvrons le manège. Tous regroupés d’un seul côté de cette vaste écuelle de corail blanc, un instant immobiles, comme à l’affût, c’est avec un ensemble parfait qu’ils se précipitent brusquement à  l’entrée de la mini-caverne d’où fuse un authentique jet d’eau douce. Bousculés par le tourbillon liquide, refoulés vers l’extérieur, ils parcourent en désordre la clairière et, prestement, reviennent à leur poste d’observation, frétillants et frondeurs.
           L’instant d’après la pratique se répète. L’eau de la montagne leur apporte en une conduite forcée les bribes d’une nourriture qu’ils gobent avidement. Elle doit être bien délectable cette manne, à les voir ainsi se démener… Soudain, dans un crachotement de bulles, une giclée couleur rouille s’exhale et disperse notre banc d’affamés. Tiens… là aussi, la température vient de s’élever !…
           J’ai l’impression que par intermittence, ce bon vieux système central de chauffage pétarade et  se dérègle ! Bah ! ça ne perturbe pas beaucoup nos gourmands, les voici revenus.
            Quant à nous, l’heure du retour s'impose…
           A partir de cet endroit, un léger courant nous permet de regagner sans effort la minuscule baie où le “Speedy”, notre barge en aluminium, est allée jeter l’ancre après nous avoir largués. Abri propice au mouillage, dénommé à juste titre “L’Aquarium” par les pilotes des bateaux à fond de verre - nous y prolongeons nos paliers de sécurité tout à loisir en admirant les évolutions d’un banc de carangues et de vivaneaux venus tout spécialement étudier les touristes massés dans les cages en verre du “glass-bottom”. 
           Rejoindre la base du Centre International de Plongée, le célèbre CIP, ne demande que quelques minutes de navigation à une vitesse raisonnable. Je profite de cette période d’inaction pour dire un mot sur les activités marines que nous venons d’observer et faire admirer la limpidité remarquable du ciel qui se reflète sur la mer :  à l’horizon  la petite île de Montserrat (4) se profile à portée de main… Elle paraît si proche et l’air est si pur que l’on s’étonne de ne pas y apercevoir les traditionnels palmiers. Tiens… Le sommet de Chances-Peak (5), le piton dominant le massif de Soufrière Hills, disparaît dans un long et volumineux nuage aux drôles de reflets orangés. Des fumées volcaniques ? … Bizarre…! 
            Arrivés à terre, douches, rinçage du matériel et bien sûr rituelle séance de rhum-mise en forme chez Loulouze (6) : ti-punch pour tout le monde.
           Nous évoquons notre balade aux Sources Chaudes. Je commente la particularité du phénomène et explique que La Soufrière est en période de réveil. D’après les dires du personnel de la Centrale Géothermique (7), “ Notre Vieille Dame ” affolerait les instruments de mesures telluriques qui enregistrent actuellement d’infimes mais nombreuses vibrations sectorielles, toutes suivies de brèves et importantes variations de la température des eaux internes.
            Devant l’appréhension générale j’en rajoute un peu.
           Sur un ton badin, je confirme qu’un certain nombre d’habitants de Montserrat avaient été évacués - par mesure de précaution - lors des quelques manifestations éruptives survenues ces mois derniers. A la faveur de ces événements, les scientifiques auraient décelé une relation directe favorisant une certaine communication entre les volcans des deux îles (les deux Soufrières). Ils espèrent d’ailleurs confirmer prochainement leurs hypothèses à la faveur du regain d’activité qui s’annonce imminent…!!!
           Avec le minibus nous rejoignons notre village de vacances,  Le Jardin Tropical,  niché dans la verdure, sur les hauteurs de Poirier.     
          De la terrasse bordant la piscine, les plongeurs et leurs épouses contemplent la majestueuse fin du jour. Je les rejoins.
           De l’ouest au nord, la Mer des Caraïbes est embrasée des mille feux du soleil couchant. Au dessus de la baie irisée de vaguelettes or et argent, le ciel bleuté se métamorphose en une nébuleuse rose et ocre. De lourds et menaçants nuages brun-violet s’amassent sur le Golfe du Mexique et reflètent déjà l’inquiétude de la nuit. Transperçant de ses longues flèches rayonnantes cet amas hostile à franges dorées, l’astre radieux résiste à la rouge servitude du crépuscule. Il brille, glorieux et solitaire, au ras de l’océan.  Mais bientôt, les pressions obscures de la nuit deviennent trop fortes. Il s’arc-boute et se déforme. Dans un ultime effort il s’ovalise, résiste encore. Hélas, il agonise bientôt surpris par les ténèbres, inexorablement vaincu, il se précipite dans les flots où il disparaît en projetant une dernière lueur d’espoir : le Rayon Vert !…
           Alors seulement, note après note, s’amorce, s’élève, s’amplifie et se déploie l’étrange et mélancolique concert nocturne des minuscules grenouilles de la Guadeloupe.
           L’ombre tiède et propice de la nuit nous guide tout naturellement vers le bar où resplendit le sourire éclatant de notre barmaid préférée, la charmante Adèle. Daïquiris, planteurs et autres punchs sont de la fête tandis que le disque opalescent de la pleine lune surgit de la colline noire.
           C’est l’heure de vérité… Chacun dispose d’une belle aventure quotidienne à raconter et parmi rires et  commentaires, les anecdotes vont bon train. 
           Je sensibilise de nouveau mon petit monde sur les phénomènes naturels. Je suis surpris de constater que, non seulement aucun  d’entr’eux n’a remarqué le fugitif “ rayon vert ”, mais qu’en fait, tous pensent qu’il ne s’agit là que d’une piètre galéjade.
           J’explique d’un ton rieur qu’il a fallu trente ans à ma fille, Michèle l’Incrédule, pour qu’elle y croit. Je faisais jusqu’alors à ses yeux figure de petit plaisantin lorsqu’un beau soir les auspices favorables nous gratifièrent d’un irréfutable flash émeraude. L’explication en est fort simple: à la fraction de seconde très précise où le soleil disparaît derrière la rotondité de la terre, son ultime rayon jaune traverse une infime épaisseur de l’onde bleue, la conjugaison des teintes provoque une vision optique et fugitive de la couleur… verte.
            Il ne suffit pas de regarder, il faut voir !
            Je pense ne pas faire très sérieux, car ma démonstration verbale donne lieu à l’éclosion d’un discret sourire narquois sur les visages amis. Il est vrai que depuis le jour où je leur ai parlé imprudemment de mon futur moteur à ombre! Mais si voyons... mon invention révolutionnaire qui permettra de se déplacer plus vite que la vitesse de la lumière. Impossible ?… Hé pourtant non…! Souvenez-vous : Lorsqu’en 1954, lors de notre unique rencontre, l’illustre mathématicien Albert Einstein est resté stupéfait lorsque je lui ai exprimé le principe fondamental de ma théorie. La preuve : de surprise (ou d’admiration) devant la simplicité de mon raisonnement il en est “resté baba” (tout le monde connaît bien sûr cette incroyable photo ou mon interlocuteur est “langue pendante” ... pour la postérité !
            - Ah oui... mais non Michel, pas Albert... Voyons, tu veux dire Frank ! ... Frankeinstein... Ah ah ah!
            - Parfait…! Parfait…! Rira bien…!
            C’est l’heure de la soupe... A table ! Bon appétit !
            La conversation continue sur le même registre toute la soirée car, entre deux clairs de lune, de brèves giboulées tropicales se succèdent et annulent notre projet de jouer à la pétanque.
            A propos de pluie en cette saison printanière, alors que nous évoquions les splendides Arcs en Ciel Doubles aux couleurs inversées que nous offrent les fréquentes ondées matinales, je me hasarde au chapitre de l’Arc en ciel Blanc
Nouveaux sourires aux alentours… Pourquoi pas aussi le “triple” ou le “quadruple” pendant que tu y es ?
            Mon désir à convaincre mon entourage de la réalité du fait me pousse, d’un air inspiré, à compliquer  la situation en parlant de l’Arc en Ciel Horizontal. Murmures… Sincèrement, je ne suis pas aidé! Que devient mon prestige de Moniteur, je vous le demande ? Enfin... je crois que par sympathie, si ce n’est pour ma bonne foi, mes arguments sont acceptés : à la renverse subite des coups de vent, la crête déferlante des vagues s’effrite, soufflée par de brusques et sévères rafales à rebrousse poil. Il en résulte un bref “grain de surface”, véritable averse en suspension. Sous bonne incidence solaire, le spectre de la lumière se décompose… au ras des flots… hé oui... à l’horizontale.
             - Et le Cercle en Ciel ? Attention, ne confondez pas le halo plus ou moins grand aux couleurs indistinctes et blafardes qui parfois entoure un soleil brouillé : Avez-vous eu l’occasion de voir resplendir dans les cieux les sept couleurs en un parfait cercle magique. Certainement pas! Comment vous expliquer...? C’est un “arc fermé”... en plein ciel... dont les jambages de l’arche ne se plante pas sur le sol ou dans les flots. Lors d’averses en altitude, la trajectoire des gouttes d’eau est naturellement beaucoup plus longue que vue de terre. La persistance de la chute permet à l’arc de prolonger sa courbe lui offrant ainsi la possibilité de terminer sa trajectoire ensoleillée en formant un anneau complet. Cette réalité atmosphérique est fréquente sous les tropiques, où le soleil perce souvent les nuages de pluies éparses. Elle est d’ailleurs parfaitement connue des pilotes de lignes régionales qui naviguent à bord de petits avions dont le plafond de vol n’excède pas 3 à 4000 mètres.
             - Ah... bon ! Et maintenant, dis… Michel, me demande avec un ravissant sourire ma voisine, la gracieuse Nathalie Marquay (ex-Miss France) si tu nous le racontais, pour voir, ... le fameux Coup du Blanc ?
             Alors là... Il faut absolument me croire, je vous en donne ma parole, c’est la vérité vraie! Oui, oui, parfaitement, même si je dois avouer que la chance était avec moi...!
             Jugez un peu !
            Le temps de reprendre mon inspiration avec un petit verre de “Bailey’s(8), c’est là mon humble défaut, et hop, c’était gagné !
            Mandrake (9)… à toi de jouer !
            Bonimenter, je sais faire. Je me lève de table et j’attaque :
            - Mesdames et Messieurs, Ladies and Gentlemen. Ce n’est pas sans une certaine émotion, oui certes, que ce soir, ici même, pour votre éducation, votre plaisir et à votre plus grand  étonnement, j’ai l’honneur et l’avantage de présenter devant vous, pour la première et dernière fois de votre séjour, la plus remarquable, la plus étonnante, que dis-je... la plus prodigieuse curiosité que vous puissiez contempler dans l’hémisphère boréal : une merveille de la nature va vous apparaître. Vous allez découvrir de vos yeux ébahis, le plus inattendu, le plus fortuit des spectacles que la nature imprévisible puisse vous offrir et j'ose le dire... le spectre le plus rare, l’entité la plus extraordinaire, le plus fantasmagorique des phénomènes....  Suspense...
            - Oui, Mesdames et Messieurs, vous allez assister à la plus surnaturelle des manifestations nocturnes qu’il puisse être donné à vos prunelles de plongeurs vulgaris de contempler dans les profondeurs insondables de la nuit. Pour vous seuls, mes chers Amis, j’ordonne:     
            -  Et qu'à l'instant ...  Je le veux ... sorte de l’Ombre  Infinie ... Le Grand Arc en Ciel Blanc.
             Stupéfaction…!!! Ébahissement...!!!
           Un ove fantomatique, immense et blême se profile sur le ciel noir de la baie assombrie par un grain providentiel. La lune blafarde, délivrée des nuées qui courent sur la montagne, brille maintenant d’un éclat suffisamment intense pour que les deux piliers d’un anémique arc en ciel se rejoignent sous la voûte céleste où scintillent de rares étoiles.
           Il est là… Le Grand Blanc ! Devant nous… Originale vision fugitive qui ne dure hélas... que le temps d’une brève ondée.
           La confiance est revenue.
           Merci Nathalie ! Ton œil de velours avait repéré l'éclaircie dans la horde de nuages qui courraient sur la lune.
           Il faut le faire… simplement saisir la bonne occasion. C’est un métier !!!.
           Il ne manquait que le roulement du tambour.
          J’ai le triomphe modeste, mais avouez que j’ai bien mérité la cape d’honneur du Grand Magicien, aussi je ne tarde pas à disparaître à mon tour. Bonne nuit!
          Le matin suivant, au cours du petit déjeuner sur la terrasse du Jardin, notre souriante hôtesse Marie-Noëlle-la charmante , attire notre attention sur la luminosité très particulière du ciel en mer. L’horizon est reporté à l’infini derrière la Pointe de la Négresse où l’on devine même Nevis derrière l’île de Montserrat. Quelle clarté, c’est magnifique, pas un seul nuage… si ce n’est celui qui couronne, aujourd’hui encore, le volcan, point culminant de l’île dite d’Émeraude.
          - C’est plutôt inquiétant ce panache de fumée ! Je fais cette simple remarque à haute voix mais n’ajoute aucun commentaire…
           La journée de plongée s’écoule, excellente comme il se doit, ainsi que la nouvelle soirée, joyeusement interminable et bien à-rhum-attisée.
           Le lendemain matin, lors de mon réveil, le soleil émerge déjà au sommet de la colline. Tristement, je me pointe en bon dernier à la terrasse du restaurant pour le petit déjeuner. Contrairement à mon habitude, je fais grise mine, ce qui m’attire quelques réflexions humoristiques sur le bienfait des boissons locales… à consommer de préférence avec modération!
           Sans préambule je pose une question idiote :
           - Avez-vous écouté la radio ce matin?
           et sans attendre de réponse, je conclus aussitôt :

           - Ah ! C’est terrible, il n’y a aucun rescapé .
           Réaction immédiate des pensionnaires : silence total.
Puis, bruit de foule, brouhaha de questions… parce qu’ici, loin du monde et du bruit, de toute évidence personne n’écoute les infos, bien sûr, sinon à quoi ça sert d’être en vacances ?
           Je poursuis avec une tristesse infinie dans la voix :
      - Mais regardez la mer… Montserrat...! Disparue !! Engloutie !!! J'explique : Dans la nuit ce satané volcan a explosé et le socle rocheux s’est effondré dans les flots. Un cataclysme sans précédent dans notre époque moderne. C’est effroyable !… En l’espace de quelques minutes l’île entière a été submergée, anéantie, rayée de la  carte du monde !
            Effectivement, la mer est vide, désespérément vide, tout juste tranchée net par la ligne d’horizon vierge et si précise qu’elle semble être là, tout près, tellement proche maintenant qu’elle fait peur, nette et brillante comme une lame de rasoir… au-delà, rien n’est visible, que le bleu du ciel.
            Plus de Montserrat!
          Nos yeux incrédules cherchent en vain une trace, un signe de l’apocalypse...
           Nous scrutons en vain la mer qui resplendit au soleil. Absolument rien ne subsiste de ce que nous avions eu le loisir de contempler hier encore. C’est un désastre total, un effroyable anéantissement, un nouveau Santorin… l’Atlantide du vingtième siècle...
          Le malheur, chape de plomb invisible, écrase notre petit groupe d’un silence que je laisse peser lourdement.
           Mais la vie continue, c'est ainsi…!
           Je précise donc qu’il est inutile dorénavant d’écouter la radio, car devant l’amplitude de la  catastrophe et l’absence totale de témoin - il n’y a pas un seul rescapé - les médias ont décrété un black-out complet de l’affaire.
           - Ben oui… commercialement parlant, Hugo… l’ouragan de l’année 89 a déjà fait assez de mal… on est bien d’accord? Je vous demande comme une faveur personnelle de n'en parler à personne... Moi je l’ai su très tôt ce matin… Je ne peux vous en dire plus. Je compte sur vous, d’accord ? Néanmoins, je vous souhaite, à tous, une excellente journée !
           Paroles difficiles à prononcer… n'est-ce pas ?  Pas pour moi !
          Vraiment les plongeurs sont des gens de confiance, car de toute la journée, aucun bruit relatif au sinistre n’a circulé  à  Malendure-Beach… ni le lendemain... Il faut croire que la grande majorité des gens ne voit rien...
           La météo s’est maintenue au beau fixe, avec la même haute pression atmosphérique pendant quarante huit heures… juste le temps d’oublier… Mais oui !…
             Le troisième jour… six heures du matin.
          Je me lève, et, avec un plaisir non dissimulé, je remarque les traces brillantes d’humidité qui subsistent sur la pelouse devant ma  chambre. Parfait, une ondée providentielle est tombée dans la nuit. D’un simple regard je vérifie que la brume de mer s’est bien annihilée dans l’eau…
           Arrivé le premier sur la terrasse du restaurant pour le petit déjeuner, j’accueille tous les vacanciers, les uns après les autres, et leur annonce la bonne nouvelle :
            Montserrat est ressuscitée.
            L’île a ressurgit des flots !
            Tous les regards se tournent aussitôt vers le Nord.
            Incroyable ! Inimaginable !! Fabuleux !!!
            C’est vrai !… L’île est bien présente. Comment est-ce possible ? Ce doit être une nouvelle explosion sous-marine?… Ce n’est pas croyable ! Elle a une forme identique à l’autre… Et en plus elle déjà toute verte... il y a encore le même petit nuage accroché au sommet de la montagne… Les commentaires vont bon train. Je les entends et je m’en réjouis: la farce a bien pris, le canular est réussi... parfaitement réussi… !
                J’ai beau expliquer, avec un sourire grand comme ça, que l’événement se répète à longueur d’années, maintes et maintes fois, sans que nul, d’ailleurs, n’y porte jamais la moindre attention. Mais plus j’insiste... moins je convaincs !…
           - Je vous assure, en raison d’une certaine pression atmosphérique ce n’était que de la vapeur d’eau accumulée sur la mer qui dissimulait  à notre vue cette île britannique. Elle n'a jamais été engloutie, elle était simplement hors de notre vue suite à certaines conditions climatiques créant une illusion optique...
           Devant l’incrédulité générale à l’égard de mon explication, en silence, j’ai invoqué le Ciel. Dans la matinée, le soleil aidant… l'invisible brume de beau temps est revenue. Et de nouveau Montserrat s’en est  allée…
           Venez à Malendure, soyez sans crainte, quand bien même je ne serais pas avec vous, regardez bien dans la direction du Nord, par delà le Cap de la Négresse, vous serez privilégié :
            J’ai la promesse formelle du Dieu des Brumes de perpétuer le sortilège de Montserrat.


 
NOTA.  Cette anecdote a été écrite en 1994 et à l'époque Monserrat était pratiquement inconnue du grand public. Les éruptions de son volcan, La Soufrière ont commencé en juillet 1995 et la destruction totale de Plymouth, capitale de l'île date du 25 juin 1997. En février 2010 le dôme volcanique s'est effondré et un nuage de poussière s'est élevé juqu'à dix mille mètres d'altitude recouvrant de poussières volcaniques grises les îles voisines dans un rayon de 100 km à la ronde.
                                                                       
(1) Au sujet de cette dénomination pour le moins insolite de “Bouée Anticyclonique” mais au qualificatif parfaitement mérité, il est amusant de noter que cette bouée d’amarrage pour bateaux de plongée était immergée sur un lieux sans nom. Aussi, un soir, au début des années 1990, lors de mon premier séjour au CIP, en riant, j’ai posé la question : Mais, lorsque vous plongez à cet endroit, avez-vous une seule fois supporté les effets d’un cyclone ? Réponse : Jamais ! Alors c’est que la bouée est “vachement “ efficace, ce sera donc “la Bouée Anticyclonique”. Et depuis, c’est son appellation officielle.
 
(2) En octobre 1959 la Calypso, de retour des USA, fait escale à Malendure pour tester la soucoupe plongeante. A -100m de profondeur, au cours du sixième essai de l’engin, Albert Falco se sort par miracle d’un incendie à bord. Le navire océanique est bloqué sur place par cet incident. La plongée est la seule distraction de l’équipage et de son commandant Jacques-Yves Cousteau. Ce dernier émerveillé par la faune et la flore du site, formula l’idée d’y créer une réserve marine. Vœu pieux, le projet fut classé sans suite mais le nom était donné au plus grand bénéfice du site. Il perdure et désigne ces lieux enchanteurs depuis cette depuis cette époque.
 
(3) La Soufrière est le point le plus élevé de la Guadeloupe avec 1467 mètres d’altitude.  Les dernières éruptions  remontent aux années 1956 et 1976-77.
 
(4)    Montserrat, Île d’origine volcanique, est distante d’environ quatre-vingt kilomètres de  la Guadeloupe.

(5)   Chances-Peak, 915 mètres. Point culminant de Montserrat.

(6)   Loulouze est le Bar-Restaurant incontournable de la plage de Malendure.

 
(7)   Construite en 1985, la Centrale Géothermique exploite un forage de 340 m creusé au flanc du volcan produisant un mélange de 20% d’eau  et  80% de vapeur à 240°C.

(8)   Onctueuse et délicieuse liqueur  américaine à base de crème de whisky et de crème de lait.
 
(9)  Mandrake Le Magicien. Héros de l’Âge d’Or de la bande dessinée, créé en 1934 par les américains Lee Falk pour le scénario et Phil Davis pour le graphisme. Voir son portrait dans l'article du 20/07/2009 " Un amateur éclairé ".
 
Les îlets Pigeon vus du sommet de Morne Louis.
0042 Ilets PIGEONS*
 
 
 
 

Mais où est donc Montserrat ?
1918 Ou est MONTSERRAT

 
 
 
 

Le volcan de la Soufrière de Montserrat
avec des fumerolles un soir au printemps 2005.
0272 MONTSERRAT 2005

 
 
 
 
 

Montserrat et son panache de fumée en 2008.
003 Volcan MONTSERRAT

 
 
 
 
 

La Mer des Caraïbes à Malendure
avec l'horizon vide derrière le Cap de la Négresse.
2498 MALENDURE

 
Mais rassurez-vous, le Génie des Brumes est de parole.
Il fera réapparaître Montserrat si vous lui faîtes
l'honneur de venir le voir à Malendure.
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26 janvier 2010 2 26 /01 /janvier /2010 00:12
 PETITE PLONGÉE
 
SANS FAIM HEUREUSE
 
       Dis-moi ce que tu manges,
   je te dirais ce que tu es.

Anthelme BRILLAT-SAVARIN
(Physiologie du goût).
 
          Napoléon ...
      Qui d’entre nous ne rêve de faire un jour la connaissance de cet illustre et bienveillant compagnon de plongée ? Il est le plus sympathique, le plus bonhomme et le plus amical de nos Frères de la Côte.
      Depuis des années j’avais toujours entendu dire grand bien du personnage et mon souhait, inavoué, de le rencontrer croissait au fil du temps. Ce désir se mua en une véritable impatience lorsque mon ami, Lucien D’Hondt, le Belge fondateur du bien connu Club Égyptien “Scuba Doo Diving Center”, me proposa d’aller chez lui, à Hurghada, afin d'y encadrer quelques plongeurs. En réalité, il m'offrait un séjour agréable en Mer Rouge et en compensation je devais veiller à la sécurité des plongées des participants d'un stage photo organisé par sa fille  et animatrice Joëlle avec la promesse de pouvoir rencontrer ces labridés imposants que sont les napoléons.
      À ce sujet, il est étonnant de constater que Napo, grand ami des photographes, si l’on en juge par les innombrables clichés du quidam publiées dans les magazines, livres, films et autres ouvrages spécialisés, pour une raison inconnue, ne se laisse que très rarement tirer le portrait de face.
      À vrai dire : jamais ! Avez-vous en mémoire une seule pose, une seule image, où l'animal vous regarde de face ? Sinon vous... du moins l’objectif d’un “Nikonos” ou autre “Sea and Sea”.
       Eh bien ?... Non !
       C’est tout de même curieux, quand on y pense ! Le célèbre gaillard serait-il d’une réelle modestie ? Ou, à l’instar de certaines vedettes de l’écran, recherche-t-il tout simplement une forme d’anonymat ? Parce que, vous serez d’accord avec moi, il s’affiche vraiment partout. Oui, d’accord, mais seulement de profil... le coquin ! Et... quand ce n’est pas de trois-quarts arrière !
       Mais, à vrai dire, ne souffrerait-t-il pas d’une certaine timidité ?
       C’est pour le moins curieux et ,vous l’avez certainement remarqué comme moi si vous fréquentez un peu la Mer Rouge, de quelle étrange inquiétude ce monarque est paré dès lors qu’il affronte les Chevaliers de la Pellicule? Vous le voyez s’avancer face à vous, majestueux, sûr de lui, puis à l’instant même où vous faites le geste de porter l’appareil à hauteur de votre œil afin de le cadrer, il exécute un virage étudié et se positionne parallèlement à votre personne. Sans laisser échapper un mot bien sûr, mais avec une prestance satisfaite dont l’allure innocente et la plus détachée du monde symbolise magistralement son flegme redseanien.  Bizarre…  non ? 
       Dès lors, tout à loisir et sans aucune difficulté, vous pouvez, avec sa bénédiction, immortaliser son  admirable profil:  il reste dans le proche voisinage et vous observe… du coin de son œil malicieux. Cette curieuse façon de se comporter est bien connue mais admise à regrets par tous les plongeurs de la “Red Sea” :
        Sa Célébrité ne perd pas la face, ne se voile pas la face mais se contente tout simplement de ne pas être de face!
        Notre groupe n’ignorait rien de cette singularité.
        La semaine d’initiation à la prise de vue diapositive et subaquatique, sous la houlette du renommé Maître Orléanais, Jean-Yves Duchaillut, enthousiasmait tous les stagiaires. La beauté de cette mer tropicale, sa vitalité, sa richesse, transparaissaient en des images éclatantes de couleurs.
       Cependant il fallait se rendre à l’évidence: Napoléon, bien que présent chaque jour à l’écran, fidèle à sa légendaire pudeur, n’avait pratiquement accordé aucun portrait facial, sinon de très loin, sans doute par inadvertance, cela va de soi. De ce fait, afin de s'octroyer une satisfaction que nous pourrions qualifier de visuelle, l’agrandissement du sujet aurait subi une telle perte de qualité, que ce n’était pas envisageable.
       Tout le monde souriait de ce refus incompréhensible. Je pense bien que l’individu lui-même se prenait au jeu: n’avait-il pas déjoué les mille astuces imaginées pour le surprendre.
       Ainsi, le dernier jour du stage, nous avions imaginé parvenir à nos fins grâce à une  ingénieuse stratégie d’encerclement du héros. Partis d’un petit fond, tous les plongeurs participèrent à cette vaste manœuvre montante. Favorablement menée, cette opération était l’assurance de la réussite... Aussi, lorsque la fermeture parfaite de l’anneau fut réalisée, que notre proie, si habilement piégée était à même de se retrouver face à un certain nombre d’objectifs, les doigts habiles de nos paparazzi déclenchèrent la mitraille des flashes. Et ils photographièrent... leur vis à vis...!  Avec le sang-froid propre à la grande famille des labridés notre Napo facétieux s’échappa prestement par la seule sortie à laquelle personne n’avait songé: la surface. Au-dessus de nos regards stupéfaits et admiratifs, le gredin s’envola dans les airs avec une grande aisance... en un superbe saut carpé.
            Bien joué, Monsieur la Bête(1) !!!
            Cette histoire me turlupinait.
            Étant disponible, après la fin du stage je pris la décision de voir ça de plus près. Consacrer quelques journées supplémentaires à ce problème et plonger pour en résoudre l’énigme était, pour sûr, un bon programme.
            Libre d’embarquer chaque matin sur l’une des six unités rapides du Club, je n’avais que l’embarras du choix quant aux différents sites où je savais pouvoir croiser mon “client”.
            Et des sites, j’en ai fait... ! Deux ou trois chaque jour, les plongées étant peu profondes. Napo était à chaque rendez-vous, toujours aussi charmeur. Tant que l’appareil photo restait suspendu à mon cou, nous vivions un accord parfait. Mais le malin se détournait de moi dès l’instant où j’esquissais le geste d’une prise de face...
           J’ai tout essayé... J’ai même utilisé ma jackette pour dissimuler contre ma poitrine l’ensemble “Photo-Marine” dont seuls l’objectif et le flash étaient dévoilés. J’espérais avec cette  version de la "caméra invisible"  avoir trouvé manière à tromper sa vigilance et  réussir enfin à prendre un cliché surprise de la créature en me tenant bien vertical et immobile devant lui.
         Opération inefficace ! De loin, le rusé me regardait venir d’un air soupçonneux. Il conservait ses distances faisant preuve d'une incompréhensible suspicion à mon égard... Contrairement à l’habitude de ses congénères dont la curiosité proverbiale est de notoriété publique, celui-ci ne m’approchait pas ainsi que je l’avais escompté. De plus, subodorant qu’un grand angle le braquait, il se mettait immédiatement à battre des nageoires en rétro afin de conserver la limite  de sécurité que je semblais vouloir franchir. Désespérant !
            Plusieurs fois j’ai tenté de le “bouder”, lui tournant délibérément le dos... ou faisant mine de m’éloigner. Il se contentait de me suivre au plus près mais à l’instant où un coup de palme surprise trahissait mon intention de lui faire face, sans aucune hâte, il s’esquivait.
           Ô rage !...
          Alors j’ai pensé à une autre méthode. Je me devais d’être Le Grand Ami : ne pas rester le plongeur anonyme aux yeux de ces surprenants individus. Cela me paraissait être assez simple.
         J’avais d’ailleurs un exemple probant : L’année précédente, lors d’une plongée matinale sur le platier d’Oum Gamar, j’ai vu notre commandant parachutiste Orléanais, Raymond Dionnet, à son corps défendant, conquérir de haute lutte la reconnaissance affectueuse et indéfectible d’un colossal spécimen. de ce poisson incroyable. Ce dernier, avait un hameçon d'acier et de grande taille fiché dans la joue. Il nageait bonnassement au ras du fond sableux trois mètre environ juste au-dessous de son futur bienfaiteur. Suite à une habile manœuvre de chute libre, notre plongeur, saisissant le blessé à bras le corps avec une promptitude et une dextérité toute militaire, extirpa la tige de métal si vite que Napo n’eut pas le temps de réagir.
          Hé bien, tout au long de la journée, soit près de trois heures de plongée, ce fut un binôme parfait d’inséparables, sauf toutefois, à l’heure du repas de midi que nous prenions sur le site, le bateau étant amarré à une bouée. Bien que Raymond ait fait don d'une partie de sa pitance à son protégé, ce dernier, timide à l’extrême ainsi que je vous l’ai déjà dit, n’a pas tenu à s’imposer à notre table. Mais avouez que si sa langue maternelle eut été le français, peut-être se serait-il senti plus à l’aise parmi nous et aurait-il volontiers demandé la permission de monter à bord. Nous l’aurions alors installé avec plaisir dans l’ombre humide de nos combinaisons...
          En outre, Oum Gamar convenait parfaitement à l'exercice de style auquel j'avais l'intention de me livrer. Le site, assez éloigné de la côte, était à l'époque très peu visité, donc paisible, l’eau calme et limpide, le fond proche et de sable blanc. Sans aucun doute, mon adversaire, intelligent, docile et surtout éclairé par sa précédente aventure, s’adapterait sans nul doute à mon projet. Décision prise, toutes mes plongées y furent dès lors consacrées.
      Le maître de céans,  un individu de taille exceptionnelle, en vertu de son poids avait été baptisé à juste titre "Napoléon Cent " par les moniteurs et il adorait les visites. Mes premières avances furent singulièrement faciles et de bon augure. Dès mon premier saut, prévenu par l’onde de choc, il était là, joyeux et démonstratif. Il m’a salué de façon fort civile, à la sous-marine, en décrivant des cercles de plus en plus restreints autour de ma personne. A la faveur d’une passe rapprochée il est même venu me faire connaître son affectueuse satisfaction en caressant son ventre rebondi à l’une de mes palmes.
Bon présage !
           Ensuite, innocemment, nous avons nagé de conserve. Soit à mes cotés, soit me précédant d’une petite longueur, en guide parfait, il m’a fait découvrir les eaux turquoises d’un véritable et merveilleux paradis marin. Les gorgones arborescentes, géantes roses, rouges, jaunes ou violettes selon la  profondeur, lui étaient particulièrement agréables. Visiblement il recherchait  les plus monumentales d’entr’elles. Lorsqu’il les jugeaient à portée de ma vue, il me devançait prestement et allait m’attendre sur place, se dissimulant parmi les branches. Me regardant palmer vers lui, il prenait un plaisir ineffable, cela se voyait à son regard enjoué. J’ai apprécié sa mimique, mais la question reste posée : Est-ce la satisfaction d’avoir trouvé un compagnon de jeux, ou, plus simplement le chatouillis de la gorgone sur sa  bedaine qui lui communiquait cet air de satisfaction béate ?
          Bien entendu, ma toute bonne foi était en évidence :  ne portant sur moi qu’un slip de bain et mon bloc d’air comprimé, j’étais dans l’impossibilité de cacher quoi que ce soit, ne serait-ce qu’un quelconque appareil jetable. J'étais l'innocence personnifiée.
        Les jours suivants un véritable enthousiasme réciproque fit de nous d'authentiques compères. Sans conteste pour notre amitié, les menues friandises dont je le régalais à profusion firent davantage par leurs simples mais fréquentes distributions que les longues et captivantes heures de plongée passées ensemble.
         Je le sentais… J’évoluais dans une ambiance favorable et ne doutais absolument plus de ma complète réussite. J’en étais arrivé d’ailleurs à pouvoir le cadrer à tous moments, d’un geste de mes deux mains (vides) dont les doigts se rejoignaient en rectangle à la hauteur de mes yeux… vous voyez... “pour faire comme si”.
          Et puis, je me suis mis en tête... allez donc savoir pourquoi... de tester son sens du jeu, mieux, de déceler son humour :  Après lui avoir présenté à main tendue maintes boulettes de mie de pain, menus fragments de merguez, petits morceaux de fromage et autres petites gâteries raffinées, j’ai décidé de les dissimuler aux alentours. Il a très vite compris. Avec une vista troublante il déjouait à tous coups mes ruses grossières. Si parfois mon geste de cacher son cadeau en quelqu’endroit n’était que feinte,il s’immobilisait aussitôt. Inintéressé, il tournait le dos, ou alors il m’abordait gentiment et me bousculait de son front immense en de petites poussées amicales … Au contraire, si à l’ombre d’un acropora, l’objet de sa convoitise attendait sa recherche, il me lançait un regard complice “bien articulé”:
           - O.k. j’ai vu... regardes ... je vais trouver ! Et de s’y rendre benoîtement.
       Au travers de toutes ces familiarités devenues coutumières, une confiance réciproque s’installait  tranquillement entre nous. Pour le succès de mon entreprise, encore quelques séances d’entraînement, et... il serait  à point.
Du moins le croyais-je avec certitude !
        - Vas z’y Nicéphore (2) ! m’a même déclaré Wanda, mon épouse unique et préférée, avec  l'enthousiasme indéfectible qu'elle me communiquait depuis le jour où elle m’avait rejoint. Vas z'y... il est t'à toi ! Je te suis !
        Nous venions de sauter à l’eau lorsque je l’aperçus sous moi. Royal, il nous attendait par quinze mètres de fond, auprès d’une patate de corail. Son Éminence se prélassait sur un trône de sable clair. Curieusement immobile, il nous regardait avec une certaine tristesse dans ses bons gros yeux candides. Je restais en sustentation à deux ou trois mètres de la surface. Ce jour là, en guise de bienvenue matinale, je tenais délicatement entre le pouce et l’index un œuf mollet dépouillé de sa coquille. Je le faisais miroiter superbement au soleil.
       Après une légère hésitation, comme à regret, mais néanmoins avec une indéniable bonhomie, Napo se hissa jusqu’à moi dans l’espoir de gober son petit déjeuner favori. 
        Au moment précis où il se risquait à engloutir mon présent... Hop ! Disparu l’œuf ! La main plus rapide que l’œil !… comme dit le magicien.
      Indécis l'espace d'une seconde, il me regarda droit dans les yeux, d’un air inquisiteur. Non ! impossible... je ne pouvais pas l’avoir abusé !...  Il  regagna le fond sans chercher à jouer.
         A peine avait-il repris sa position stratégique, que, prestement réapparue, mon offrande étincelait au bout de mes doigts.
        Irisée par les reflets soyeux de l’onde cristalline, drapée d’ombres et de luminosités inconsistantes issues de la surface ondoyante, la tentation ovoïde s’avérait intolérable pour mon camarade exacerbé. Mû par un effort analogue à celui du requin dormeur agacé par une langouste, il arriva vers moi, se laissant glisser entre deux eaux. Mine de rien, le regard étrange, perdu dans le vague, il espérait, agissant avec circonspection, se saisir du butin que je lui refusais si adroitement.
          Mais à moi, vieux singe, pas question de me faire le coup de l’innocence chapardeuse !  Une nouvelle fois l’œuf était escamoté à sa barbe.
       Mon souffre-douleur est resté planté là, interdit, et j’ai vu à sa tronche qu’il n’appréciait pas la situation. Ses gros yeux en accents circonflexes, oscillants de manière autonome tel un caméléon outragé, traduisaient le courroux qui l’envahissait.
          Je flairais bien qu’il n’était pas content, Napoléon, vraiment pas content du tout ! Solennel et dédaigneux à mon égard, il éructa. De sa gueule lippue une fine série de bulles d’air s'exhala et s'étira vers la surface en forme de point d'interjection. Puis, majestueux (ou dédaigneux, allez savoir) il regagna son territoire avec langueur.
      Stupéfait en mon for intérieur de ressentir son propre malaise, j’allais abdiquer. Puis  je  me  suis  dit  que je ne pouvais pas en rester là, que j’étais un parfait idiot de me jouer ainsi de lui.
         “Pardonnes-moi. Tu m’as accordé ta confiance, je t’ai abusé… accepte mes excuses, je te dois réparation… enfin… si je désire toujours obtenir ton portrait sous ton meilleur angle”.
         Salaud !... Pas très fier de moi, me ressaisissant, je me laisse descendre doucement vers le fond pour le rejoindre, ma main tendant l'œuf.
         Offert semblait-il de bon cœur, mon cadeau, brillant objectif de sa convoitise, était  encore plus désirable sous les éclats d’une lumière bleutée par la profondeur. J’étais à genoux sur le sable,  suppliant, à quelques pas devant lui.
            Et il m’ignorait totalement. Pas un regard, pas un mouvement ne trahissait sa pensée, exactement comme si je n’existais plus.
           J’avançais vers lui avec lenteur ... sur les rotules...
          Tout au long de cette procédure d’approche, je l’incitais à profiter de mon cadeau en faisant frémir légèrement celui-ci au creux de ma main tendue vers lui.
          Rien !… Un marbre !
         Parvenu à quasiment le toucher, que pouvais-je bien faire d’autre pour le stimuler ?
         Eurêka ! Sous une lente pression de la paume de ma main,  l’œuf se déforma mollement puis se fissura. De la lézarde s’exhala instantanément une giclée d’effluves aussi colorées qu’appétissantes.
          Et c’est à l’instant précis où ma main effleurait ses grosses lèvres, que  goulûment, dans sa voracité, le goinfre m’avala.
          Non, pas moi en totalité... mon bras seulement, mais tout entier, oui... jusqu’à l’épaule.
           Oh là là ! Quelle impression !
          J’étais paralysé… La proie d’un cauchemar… Je sentais son étreinte cannibale se raffermir sur ma chair nue… Mon biceps s’écrasait entre ses lèvres lippues et ses gencives meurtrières.
            Impossible de lutter, j’étais vaincu d’avance.
           Que pouvais-je faire contre cent kilos de muscles. Saint Michel contre le dragon... de la rigolade…!
            Croyez-moi, il faut y être passé pour comprendre.
       Et de plus, comprendre vite, car il faut impérativement s’en sortir, le mot est exact. Et en douceur, s’il vous plaît! Pas question de tirer chacun de son côté.
            Pour quelle raison la fable du singe dont la main prisonnière dans un bocal au goulot trop étroit pour laisser passer son poing fermé, m’a-t-elle traversée l’esprit ? Mystère ! ... des profondeurs ! Toujours est-il que résigné, au tréfonds de sa gueule, j’ai fini par écraser totalement l’œuf maudit objet de son ressentiment. Puis j’ai grand ouvert la main, en évitant de lui racler la gorge.
           Alors, soit pour dégager ses arrières, soit en démonstration d’un rapport de force, Napoléon, nous fit très lentement effectuer un quart de tour sur place, lui, pivot pratiquement immobile, usant de ses nageoires pectorales frémissantes, pour tourner sur lui-même et moi, lamentable, me traînant sur les genoux à sa suite. 
         Entrouvrant les lèvres, il relâcha petit à petit sa contrainte. Avec une infinie douceur et une sainte obstination à se faire bien comprendre, il commença de reculer par petites saccades, me libérant d’abord le bras jusqu’au poignet. Puis après l’avoir quelque peu mâchouillée, afin sans doute d’en laver les coupables traces jaunes et baveuses, il me lâcha la main.
        Je restais là, abasourdi et penaud.
        La dure leçon bien méritée, ne faisait que commencer !
       Me croyant débarrassé du monstre, j’ai amorcé une lente remontée vers la surface. Mais Napo revint vers moi. S’installant fermement à ma hauteur, tout au plus à un mètre de mon visage, il m’accompagna, menaçant. Me faisant face, ne me quittant plus des yeux, il remontait avec moi. A le voir m’observer ainsi, bizarrement, je me sentais devenir sa chose.
         Légitime inquiétude! …
        J’avais du mal à m’expliquer la signification du balancement de droite à gauche qui agitait son corps massif. On eut dit un redoutable guerrier se préparant à une attaque décisive sous la contrainte néfaste d’une pression vengeresse.
         Soudain, alors que nous arrivions près de la surface, il se rapprocha de moi et, à ma grande stupéfaction, il me vaporisa la trogne d’un flux jaunâtre et visqueux, me rendant pour le moins, la totalité gluante et colorée de mon œuf.
         Ensuite il se recula légèrement pour juger de l’effet produit. Ensuite, dodelinant du chef, soulagé, vengé, railleur, il effectua autour de ma personne une balade espiègle et victorieuse... Une sortie triomphale en fait... et avant de disparaître dans le grand bleu, d’un dernier clin d’œil, me jura formellement... de n’en dire mot à personne!
           Si Wanda, stupéfaite, n’avait été le témoin oculaire de toute cette affaire, jamais je n’aurais pas osé vous en parler. Vous ne m’auriez pas cru !
           Maintenant, vous voilà au parfum !
          Et surtout, croyez moi sur parole, vous pouvez sans crainte et en toute quiétude rendre visite à  Napoléon Cent, je suis certain qu’il vous fera bonne figure. Je vous le certifie, les poissons n’ont pas de rancune. Peut-être même qu’avec un minimum de chance et d’adresse vous pourrez tirer un magnifique portrait-souvenir de mon Copain ?
            Mais, de grâce, je vous en supplie, ne lui donnez rien à manger, Sa Majesté au foie sensible... ne supporte pas les gâteries !
           “Napoléon Sans…dent”(3), heureusement pour moi, n’était  pas un prédateur… Tout juste un incroyable petit farceur !

                               
(1) Napoléon (Cheilinus Undulatus) Poisson de récifs coralliens, famille des Labridés, à bouche protractile et lèvres épaisses, pouvant atteindre 2 mètres de long et peser plus de 100 kilos.


(2)  Nicéphore Niepce (1765-1833) Inventeur de la photographie entre 1816 et 1823.

(3) Le napoléon se nourrit surtout de mollusques qu'il écrase avec ses dents molariformes.

 

 

Le Roi de la Mer Rouge dans toute sa splendeur :
Sa Majesté Napoléon.
0065-NAPOLEON.jpg
 
 
 
 

Son allure débonnaire et ses gros yeux expressifs
en font un poisson à nul autre pareil.
0066 NAPOLEON

 
 
 
 

J't'ai eu Napo, j't'ai eu !!!
0067-NAPOLEON.jpg

 
Le poisson dit " Napoléon "
est le plus grand et le plus lourd de tous les labres.
Son poids peut atteindre 200 kgs
et il a alors une taille d'environ 2m30 de long.
Seuls les gros individus deviennent familiers
et se complaisent parfois à suivre certains plongeurs.
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23 décembre 2009 3 23 /12 /décembre /2009 00:03
Qu'est-ce que cet intérêt si délicat
pour l'article de votre réputation ?

                                                                                                                                                                 Denis DIDEROT                                                                 (Essai sur les règnes de Claude et Néron).
 
 
Portrait de Denis DIDEROT
(1716 - 1784)
0235-Didier-DIDEROT.jpg

 
 
 
 
Après lecture du récit intitulé " Une incroyable plongée "
une journaliste de Californie, Mrs Starr Mc Camant m'a transmis
un article paru dans une revue canadienne - datant de Janvier/Février 1993 -
traitant d'un sujet relatif aux baleines, sujet qui qui me tient tout particulièrement à cœur.
Si un lecteur avait la gentillesse de me donner
" une version française "
de ce texte dont la traduction parfaite me dépasse,
elle serait la bienvenue à l'affiche !

0103 Article baleines A
      0104 Article baleines B
 
Alors, chers amis inconnus, vous qui vraisemblablement doutiez,
un peu plus de crédulité que diable !
Admettez donc que ce qui ne semble n'être que de simples élucubrations,
(sorties de l'imagination, peut-être débordante,
d'un plongeur légèrement atteint par l'ivresse des profondeurs)
sont bien des aventures réalisées par votre serviteur.
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